Monaco-Matin

Ils étaient là le -Juillet : des profession­nels se livrent...

Dans un ouvrage à paraître le 1er juin, le Dr Marc Magro, urgentiste, a réuni les témoignage­s poignants de profession­nels intervenus ce jour-là. Un livre partage, une ode à leur engagement

- PROPOS RECUEILLIS PAR NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

J’ai eu la conviction qu’il fallait laisser une trace Marc Magro

Ils sont pompiers, aide-soignants, infirmiers, médecins ou encore brancardie­rs… Le 14-Juillet, ils étaient là. Trois mois plus tard, un des leurs, soignant comme eux, leur a offert une écoute. Une écoute bienveilla­nte, confratern­elle, empathique… Dans un livre à paraître le 1er juin prochain aux éditions First, Marc Magro, médecin urgentiste au CHU de Nice et capitaine pompier, a réuni ces témoignage­s qui lui ont été confiés. Autant d’histoires individuel­les qui racontent toutes le même engagement, le même profession­nalisme, et lèvent aussi le voile sur une intimité bouleversé­e.

Comment définiriez-vous cet ouvrage ?

C’est un livre partage. Comme le dit Martin Gray : « la parole, quand elle est vraie, peut aider, comme une main fraternell­e ». J’ai eu l’impression en écrivant ce livre que les soignants étaient en communion avec les familles des victimes. Souvent confrontés à la souffrance dans leur métier, ils ont pourtant été, ce jour-là et dans les temps qui ont suivi, eux-mêmes bouleversé­s.

Comment l’idée de ce livre a-t-elle germé ? Cet attentat ne pouvait se réduire à un nombre de morts et de blessés. Dans les jours qui ont suivi l’événement, j’ai été marqué par les témoignage­s de confrères qui étaient intervenus. Leur descriptio­n de l’horreur : le sang, les chairs, les pleurs… et surtout ce que cela avait remué en eux, méritaient qu’on s’y attarde. Seuls ceux qui l’avaient vécu de « l’intérieur » pouvaient raconter. Et puis, trois mois après la tragédie, il y a eu cet hommage national. On avait entendu beaucoup de choses, mais j’ai eu la conviction qu’il fallait laisser une trace. Car pour les soignants, l’impact était énorme. Désormais, il y aurait un avant et un après Juillet. Je me suis mis à écrire.

Vous êtes allés à leur rencontre ? Je ne suis pas vraiment allé vers eux. Pas plus qu’ils ne sont venus à ma rencontre. Cela s’est fait naturellem­ent avec le témoignage spontané d’une infirmière. Sans se poser de questions, elle a quitté son domicile pour se rendre sur les lieux. Elle est intervenue jusqu’à  heures du matin, puis a enchaîné sur une nouvelle journée de travail, malgré la fatigue physique et morale. Dans son récit, j’ai entendu quelque chose de très intime, la force d’un engagement, à tous niveaux. Ensuite, ça s’est enchaîné. Je rencontrai­s des gens, je leur disais : « j’ai l’intention d’écrire un livre sur ce que vous avez vécu ». On me répondait spontanéme­nt : « d’accord », et la parole suivait, comme libérée. Je leur ai juste promis l’anonymat, et

me suis engagé à leur lire le passage les concernant.

Il s’agit presque d’un travail d’écrivain journalist­e…

Oui, d’une certaine façon, mais c’était plus facile pour moi, dans la mesure où je suis un des leurs. J’ai pu ainsi évoquer avec eux les questions « techniques » qui parfois les taraudaien­t encore, des mois plus tard : « Fallait-il poser cette perfusion ? Ou ce garrot ? Aurais-je dû m’attarder auprès de cette personne, moins gravement

atteinte?...» Certains s’interrogea­ient encore sur leur interventi­on. Ils avaient été confrontés à tellement de patients, en si peu de temps…

Qu’est ce qui fait la singularit­é de chaque témoignage ? Chacun de ces profession­nels se situait dans un lieu distinct, gérant des pathologie­s différente­s… Pour les premiers soignants sur les lieux, il a aussi fallu s’adapter, comprendre que c’était un attentat et non un simple accident de la circulatio­n. Ce qui les a obligés à reconsidér­er leur façon de prendre en charge les victimes. Ensuite, il y a eu l’après-coup, le film à l’envers, avec tout ce que cela impliquait d’émotions, de bouleverse­ment personnel. Se relever de cette épreuve et continuer d’avancer est un long chemin. Encore aujourd’hui, pour certains, il est impossible de passer sur la Promenade des Anglais.

Tous ces soignants, à un niveau différent, sont confrontés dans leur métier à des drames. Que s’est-il passé en eux ce jour-là ?

Ils ont d’abord été des profession­nels, essayant de mettre à distance leurs sentiments. Mais, il faut comprendre qu’ils sont arrivés sur un champ de bataille, sans limites. Ils ne faisaient plus partie d’une équipe appelée à prendre en charge un patient lambda du début à la fin, mais étaient contraints d’intervenir en priorisant les urgences absolues.

Comment ont-ils réagi par la suite ? Beaucoup m’ont confié des choses qu’ils n’étaient pas parvenus à exprimer au sein de leur famille ou avec leurs collègues. C’était très touchant de les entendre témoigner, exprimer des sentiments, alors que dans nos métiers, habituelle­ment, on ne le fait pas.

Diriez-vous qu’ils sont des héros ? Non. C’est leur métier, c’est notre métier, de soigner, d’intervenir dans l’urgence; nous avons un savoir-faire, des techniques à notre dispositio­n pour cela. Mais, il est certain qu’ils ont été d’une grande efficacité, et ils ont su s’adapter à une situation terrible, inédite…

Pensez-vous qu’ils ont été suffisamme­nt reconnus? Personne n’attendait de médaille. On doit juste rendre hommage à l’engagement de tous ces gens.

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(Photo Franck Fernandes) « Ils ont su s’adapter à une situation terrible», rappelle Marc Magro.
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Urgentiste

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