: Toulon perd
Marseille n’a pas toujours régné sur l’industrie savonnière. C’est un édit du roi Louis XIV lui accordant la franchise de son port, qui lui a permis de l’emporter sur Toulon et Grasse
Il y a, à Toulon, une rue des Savonnières, près de l’Arsenal. Cela n’est pas pour faire propre, mais pour commémorer la lointaine présence de fabriques de savon. Certains prétendent même que les savonneries de Toulon étaient jadis plus importantes que celles de Marseille. Et, partant de là, que le savon de Marseille serait né à Toulon ! C’est du propre ! À quand remontent les fabriques de savon toulonnaises ? Au XIIe siècle, au XIIIe siècle? Avant ? La première savonnerie importante a été répertoriée à Toulon en 1430. Un certain Palmier, industriel de Grasse, dont la renommée était arrivée jusqu’aux oreilles des édiles toulonnais, avait été appelé pour installer sa manufacture savonnière au nord de la place du Portalet (aujourd’hui place Gambetta). Pour le convaincre de quitter Grasse, au moment où cette ville commençait à devenir importante dans l’artisanat de la toilette, la communauté toulonnaise avait proposé à Palmier de lui payer son loyer. Toulon allait prendre une extension considérable dans le domaine de la savonnerie. Bientôt, elle se lancerait dans l’exportation. Pendant ce temps, la ville de Marseille n’arrivait même pas à subvenir à ses propres besoins en la matière. La première grande fabrique marseillaise, celle de Prunemoyr, ne fut repérée qu’un siècle plus tard, en 1593. C’est dire si Toulon avait de l’avance. Notre région fut de tout temps destinée à fabriquer du savon. Celui-ci s’obtient en effet en mélangeant des corps gras à de la soude. Les corps gras sont produits en quantité dans une région plantée d’oliviers, la soude étant obtenue à partir de certaines plantes maritimes ou à partir de 1791 par transformation chimique du sel marin (lire en encadré, page suivante).
À partir du XVIe, le savon prospère à Toulon
Depuis l’Antiquité, les oliviers ont apporté leurs fruits et leurs huiles – en même temps que leurs légendes et leurs rameaux de paix. Les moulins à huile ont poussé comme des champignons dans notre région, surtout dans des secteurs fortement irrigués comme l’est du Var. Au XVIIe siècle, la zone de Grasse, Draguignan, Fayence, concentrait à elle seule quarante pour cent des moulins communaux de Provence. On a compté jusqu’à quarante moulins sur le seul cours de la Foux, à Grasse, à la fin de l’Ancien Régime. C’est après la Renaissance que l’usage du savon est devenu important dans la toilette. Auparavant, on préférait se parfumer que se laver. Une vieille légende du Moyen Age faisait croire que l’usage de l’eau amollissait la peau et la rendait perméable aux épidémies tandis que la saleté formait sur l’épiderme une salutaire carapace ! À partir du XVe siècle, le savon prospère donc à Toulon. Les fabricants se frottent les mains ! Ils installent leurs ateliers sur les terrains marécageux à l’ouest de la ville, qui servaient jusqu’alors à parquer les bêtes des bouchers. Le quartier prit le nom de « Faubourg des savonnières». Les savonneries du XVIe siècle furent un symbole de réussite. C’est ainsi qu’en 1543, lorsque le célèbre corsaire turc Barberousse, après avoir levé le siège de Nice, vint, à l’invitation de François 1er, passer l’hiver à Toulon avec ses deux cents galères et trente mille hommes, il se logea lui-même dans la maison de la savonnerie Mottet, dans le « faubourg des savonnières », considérée comme l’une des plus belles demeures de la ville. On l’ornementa de décors de palais ottomans.
Chassées à l’extérieur des remparts de Toulon
Au début du XVIIe siècle, les Toulonnais commencent à se plaindre des odeurs produites par les fabriques de savon. En 1633, ils obtiennent leur transfert au-delà des remparts dans une nouvelle rue créée à l’ouest de la ville : la voilà, la rue des Savonnières ! Les savonneries toulonnaises, au nombre de huit en 1600, passent à vingt en 1650. À l’époque, il n’y en a que sept à Marseille. Les moulins à huile de la région tournent à plein. Celui de la Bastide Montauban à Ollioules fournit la plus célèbre savonnerie toulonnaise de l’époque, celle de Signier de Piosin. Soudain, en 1669, tout chavire. Le roi Louis XIV prend un édit accordant la franchise du port de Marseille et taxant les marchandises à l’entrée et à la sortie du port de Toulon. C’est une catastrophe ! Le commerce toulonnais est lessivé ! Faisant cela, Louis XIV voulait réformer l’organisation commerciale et militaire de la Méditerranée. Il se souciait peu de l’industrie savonnière en particulier, lui qui, dit-on, ne se baignait jamais : il aurait pris un bain complet la veille de son mariage et un bain de pied la veille de sa mort !