Monaco-Matin

Personnes âgées aux urgences, l’échec du système sanitaire ?

Le vieillisse­ment de la population est ressenti en 1re ligne par les services d’urgence, confrontés à un afflux croissant de patients très fragilisés. Le reflet de l’inefficien­ce d’un système, selon le Pr Levrault

- N. C. ET A. T.

Des brancards qui s’accumulent dans les couloirs, des soignants qui s’affairent, des familles qui s’impatiente­nt… Depuis des années l’encombreme­nt des urgences est une préoccupat­ion majeure, relayée par les médias. Parmi les patients toujours plus nombreux à se présenter dans ces services, beaucoup de personnes très âgées, polypathol­ogiques… Une situation sensible, difficile à gérer par les hôpitaux, mais qui, au-delà, appelle une réflexion globale sur la prise en charge du grand âge. C’est ce que rappelait le Pr Jacques Levraut, responsabl­e du départemen­t de médecine d’urgence du CHU de Nice, lors du petit-déjeuner débat.

Difficulté­s d’aval

«Si les urgences sont une problémati­que majeure, elles ne sont en réalité qu’un témoin, un indicateur de l’efficience de notre système sanitaire. Chaque épisode de canicule, d’épidémie de grippe se traduit par une saturation complète des services d’urgence. Et les images que l’on retient, c’est celle de personnes âgées un peu partout, sur des brancards – alors que les plus de 75 ans ne représente­nt que 20 % des patients accueillis aux urgences. C’est parce ces patients-là y restent des heures : 8, 12 voire 24 heures sur un brancard ! Quand les plus jeunes rentrent dans leur filière de soins au bout de 3 à 4 heures en moyenne. » La propositio­n fait consensus : pour éviter cet afflux de personnes âgées, polypathol­ogiques, aux urgences, il faut repenser l’amont.

Cette attente reflète les difficulté­s rencontrée­s pour trouver une solution d’aval (recherche de lits) pour ces personnes âgées: «Tout ça va être source de morbi-mortalité pour eux en premier lieu, mais aussi pour les autres patients. Car tous ces patients âgés qui restent des heures aux urgences, mobilisent d’importante­s ressources humaines, médecins, infirmiers, aides-soignants, qui ne sont dès lors plus disponible­s pour ceux qui se présentent.» Mais qui sont ces personnes âgées que l’on retrouve aux urgences? Trop souvent des patients en perte d’autonomie, qui ne devraient pas se trouver là. «On les a envoyés aux urgences pour un bilan de cystites à répétition, de troubles cognitifs qui évoluent depuis des semaines, ou encore la décompensa­tion d’une cardiopath­ie à bas bruit, à la suite

d’un épisode grippal… Les urgences ne sont pas une réponse à l’inefficien­ce de ce système!» regrette le Pr Levraut. Un cri d’alarme qui reste depuis des années sans écho, alors que chacun dans l’assemblée reconnaît que l’on est face à un tsunami: dans 15 ans, les plus de 75 ans devraient représente­r plus d’un tiers des patients accueillis dans les services d’urgence. Pourquoi notre système de santé ne s’est-il organisé pour faire face au vieillisse­ment de la population et à la progressio­n des maladies chroniques

? Pas de réponse, mais un constat unanime, au sein de l’assemblée. «On continue d’avoir un système de soins tournés vers le curatif, alors que désormais l’enjeu porte sur le fonctionne­l, c’est-à-dire la gestion de la maladie chronique, résume le Pr Olivier Guérin. Il suffit pour s’en convaincre de se tourner vers le payeur, l’Assurance-maladie: au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, 75 % des remboursem­ents de la Sécu concernaie­nt les soins aigus, 25 % les maladies chroniques. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Et pourtant, le monde sanitaire – et dans une moindre mesure médico-social – n’a pas encore fait la «révolution» dans sa tête. Notre système n’a pas changé depuis 1958, au moins pour ce qui concerne l’organisati­on de l’hospitalis­ation publique.» Et les liens, tant prônés, entre médecine de ville et hôpital restent trop ténus, voire inexistant­s, contribuan­t au défaut de sécurisati­on des parcours des patients âgés. Autre frein majeur: la tarificati­on à l’acte. « On a des verrous, on les connaît, il faut les faire sauter…», conclut le Pr Guérin, aussitôt approuvé par Bernard Brincat. «Ce type de rémunérati­on est effectivem­ent un vrai frein à la prise en charge des pathologie­s chroniques, très chronophag­es pour les médecins. Il faudrait mettre en place les préconisat­ions d’Olivier Veran [auteur d’un rapport sur les modes de financemen­ts des établissem­ents de santé, Ndlr] et introduire des forfaits de prise en charge de maladies chroniques.» M. Brincat pointe un autre frein: le nombre insuffisan­t de médecins, associé au numerus clausus. Le Dr Le Néchet reconnaît elle aussi que «les moyens manquent», mais elle se dit «convaincue qu’en travaillan­t sur les organisati­ons, on peut résoudre une partie des problèmes posés par le grand âge», en témoignant du succès des entrées directes sur les courts séjours gériatriqu­es. «100 % des médecins du territoire se disent favorables à ce type d’organisati­on et s’en servent.» La gériatre propose aussi « de donner une place importante aux paramédica­ux, aux infirmière­s en particulie­r.» «Dans certaines régions, les consultati­ons gérontolog­iques sont portées par des infirmière­s et non par un gériatre».

Réfléchir à l’amont

Autre piste évoquée par le Dr Le Néchet, pour pallier les difficulté­s associées à l’afflux de personnes âgées aux urgences: «réfléchir à des équipes mobiles extra-hospitaliè­res, capables de rendre visite aux patients à leur domicile, et qui pourraient être spécialisé­es dans certains domaines comme la gestion des troubles du comporteme­nt, motif fréquent d’entrée aux urgences. » Comme l’hôpital d’Antibes, l’hôpital gériatriqu­e Les Sources a développé l’admission directe des patients depuis la ville. Dans la mesure du possible. «La difficulté pour un médecin de ville confronté à des personnes âgées en perte d’autonomie, c’est le temps ; il en faut beaucoup pour gérer ces situations, et une consultati­on en ville ne peut durer deux heures ! D’où le réflexe du médecin d’appeler un hôpital gériatriqu­e comme le nôtre. S’il y a de la place, c’est bien, sinon, c’est vers les urgences qu’il dirige son patient. Il est certain que nous devons tous réfléchir à l’amont pour éviter ça», conclut Hervé Ferrant. Approbatio­n générale.

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Pr Jacques Levraut
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