Cannes-Torcy : les coulisses d’un « fanatisme criminel »
L’avocat général Philippe Courroye a décrypté, hier, les ressorts qui ont conduit deux groupes radicalisés à préparer des attentats. Les peines requises seront connues aujourd’hui
Ce n’est pas le procès d’une religion. C’est le procès d’un fanatisme criminel commis au nom d’une religion dévoyée. » Philippe Courroye prévient d’emblée : la justice, contrairement aux terroristes, se garde bien des amalgames. Hier, l’avocat général a livré une analyse longue, précise, incisive de l’affaire Cannes-Torcy, qui occupe depuis deux mois les assises spéciales de Paris. Face à la cour entièrement composée de magistrats professsionnels, l’accusation décortique cette cellule terroriste démantelée, ses actes, ses ramifications. « C’est le premier procès du terrorisme islamique face à la cour d’assises. Ce dossier porte le djihad armé au sein de l’Hexagone, mais aussi à l’extérieur, en Syrie », constate Philippe Courroye. Sa consoeur Sylvie Kachaner prend la suite des réquisitions ce matin. Les vingt accusés, qui encourent pour certains la réclusion criminelle à perpétuité, connaîtront cet après-midi les peines requises en attendant le verdict, le 22 juin.
Imam pointé du doigt
Après les plaidoiries des parties civiles, Philippe Courroye décrypte les ressorts intimes d’une telle spirale de la violence. Et les facteurs apparaissent multiples. Le contexte social, dans des « territoires perdus de la République ? » Réducteur. Jérémy Bailly lui-même, fidèle lieutenant du leader décédé Jérémie Louis-Sidney, n’en est pas issu. Le tissu familial ? Face à «des parents un peu permissifs, parfois dépassés », ces jeunes ont, selon Philippe Courroye, « trouvé le cadre qui leur manquait dans un islam rigoureux, dans des interdits. Auprès de leurs “frères”, ils ont trouvé une famille de substitution. » Le recteur de la mosquée de Cannes l’a fait remarquer : « Ces jeunes ont manqué d’éducation. » Et c’est précisément vers un imam que se porte l’accusation. Celui de Torcy, qui a laissé Jérémie Louis-Sidney prêcher sa haine ordinaire aux portes de sa mosquée. « C’est la seule personne en France qui ne sait pas ce qu’a fait Mohammed Merah ! », ironise l’avocat général, pour qui « se pose le problème de l’organisation du culte musulman. » La radicalisation de ces jeunes convertis s’est nourrie d’Internet, «de vidéos créationnistes, à la gloire du djihad ou de Ben Laden. » Elle s’est repue d’une abondante littérature djihadiste, retrouvée chez Jérémie Louis-Sidney et Jérémy Bailly. Le « contexte international » tumultueux, d’Alep à Gaza, aura servi de « catalyseur du djihadisme ». Pour Philippe Courroye, la base idéologique de la cellule Cannes-Torcy s’apparente à « une forme de totalitarisme » ,àune « idéologie génocidaire : tuer tous ceux qui ne sont pas comme eux ».
« Ils ont fait un choix »
Jérémie Louis-Sidney, émule de Mohamed Merah, en est l’incarnation extrême. Sa première épouse, avec qui il a vécu au Cannet et eu un enfant, l’a quitté en 2011 parce que l’islam radical avait « envahi toute sa vie ». Le père fanatisé imitait alors des bruits de mitraillette en lançant « Allah est grand ! » Jérémy Bailly, «levizir» àla « personnalité instable, friable, versatile », a emprunté la même voie : celle, à la fois « magnifique et toxique », du « nihilisme islamique » dépeint par le recteur de la mosquée de Cannes. Bailly ? «Ilaimela mort comme certains aiment la vie », dira-t-on de lui. Est-ce Bailly qui a lancé la grenade contre l’épicerie casher de Sarcelles, ce « petit Jérusalem » francilien, le 19 septembre 2012 ? Philippe Courroye le soutient, malgré les dénégations de l’intéressé. Et lui n’entend pas dédouaner les accusés. « Aucun n’a une atténuation de sa responsabilité pénale. Ils ont fait le choix de basculer, à des degrés divers, dans un terrorisme dont ils doivent assumer les conséquences. »