Monaco-Matin

La peine maximale requise au procès Cannes-Torcy

L’avocat général Philippe Courroye a demandé hier la réclusion criminelle à perpétuité contre Jérémy Bailly, de 2 ans de prison à 25 ans de réclusion pour les autres accusés. Verdict le 22 juin

- À PARIS, CHRISTOPHE CIRONE ccirone@nicematin.fr

L’espace d’un instant, Philippe Courroye marque une pause. La salle retient son souffle. Il est 14 h 20, hier. Depuis le début de matinée, l’accusation pilonne sans relâche les accusés. Après bientôt deux mois d’audience et neuf heures de réquisitoi­re, le moment tant attendu est arrivé, au procès de la cellule djihadiste Cannes-Torcy. Enfin, ces accusés si particulie­rs vont savoir à combien la justice évalue leur degré de culpabilit­é. Alors, dans la majestueus­e salle d’assises de Paris, tous les regards se portent vers la robe rouge de Philippe Courroye. Le magistrat prend une inspiratio­n puis, sans s’arrêter, égrène ses réquisitio­ns à l’encontre des vingt accusés. Pas un acquitteme­nt. Mais une peine maximale : la réclusion criminelle à perpétuité, avec période de sûreté de 22 ans, pour Jérémy Bailly.

Périodes de sûreté

Dans le box, Bailly ne bronche pas. Depuis la mort du leader Jérémie Louis-Sidney, dont il fut le fidèle lieutenant, ce Francilien apparaît comme le plus haut gradé d’un axe terroriste tissé entre Côte d’Azur et Seine-et-Marne. Kevin Phan, assis à l’autre extrémité du box, l’a désigné comme le lanceur de grenade de l’épicerie casher de Sarcelles, en 2012. Ce jour-là, Phan conduisait les terroriste­s à bord de l’Alfa Romeo volée à Vallauris. Contre lui aussi, Philippe Courroye réclame une lourde peine : 25 ans de réclusion criminelle. Prenant soin de distinguer le rôle et la dangerosit­é de chacun, le magistrat échelonne les peines de deux ans de prison à la perpétuité. Il requiert onze peines de réclusion criminelle (plus de 10 ans), treize mesures de sûreté, et l’inscriptio­n de tous au Fijait, le fichier national des auteurs d’actes terroriste­s. La cour d’assises spéciale, présidée par Philippe Roux, rendra son verdict jeudi. D’ici là, la défense a quatre jours pour ferrailler contre les arguments de l’accusation. « Vous ne jugez pas une affaire classique, une affaire de droit commun, mais un dossier qui fait peur, prévient Philippe Courroye. Il nous est interdit de nous laisser abuser. Parce que l’enjeu est trop grave... » Ces jeunes radicalisé­s seraient-ils devenus « de doux agneaux » adeptes d’un « islam modéré » ? L’avocat général n’en croit pas un mot. Il met en garde contre la taqiya, l’art de la dissimulat­ion. Il rappelle le précédent Larossi Abballa, condamné à 3 ans ferme, devenu l’égorgeur d’un couple de policiers à Magnanvill­e.

Inquiétant studio cannois

« Jamais procès n’aura suscité autant d’interrogat­ions sur la personnali­té des accusés. Et jamais celle-ci n’aura été autant en relation avec la commission des faits », constate l’autre avocat général, Sylvie Kachaner. Dans la matinée, celle-ci a décrpyté trois niveaux d’associatio­ns de malfaiteur­s en relation avec une entreprise terroriste. À chaque fois, les protagonis­tes sont des jeunes du bassin cannois. « Cannes, où a été primé La vie est belle... Dois-je rappeler le contenu de ce film ? », grince Sylvie Kachaner Symptôme de ces liaisons dangereuse­s : l’appartemen­t cannois de Victor Guevara, mis à dispositio­n de Jérémie Louis-Sidney et Michaël Amselem. Deux mois durant, «cestudio devient une petite usine de fabricatio­n artisanale, où l’on trafique réveils et cocottes-minutes » ,résume Sylvie Kachaner. Les « frères » y conçoivent des bombes, destinées à assouvir les desseins mortifères du leader fanatique. « Victor Guevara n’est pas qu’un témoin passif de ce qui se passe dans son appartemen­t », insiste Sylvie Kachaner. « Confiance, connivence, complicité, approbatio­n » sont autant de liens invisibles qui structuren­t la bande. Ce qui frappe, c’est la fulgurance de la radicalisa­tion chez ces jeunes hommes, pour la plupart convertis. Points commun : père absent, piètre connaissan­ce de l’islam, mépris du droit des femmes et haine des juifs. Ibrahim Boudina, le dernier interpellé en date, en est l’illustrati­on. « Les mots-clés sur son ordinateur montrent qu’il s’intéressai­t à des carnavals – et pourquoi pas celui de Nice, puisque cette ville faisait partie de ses obsessions ? » L’intéressé a nié tout projet de ce type. Jamais cette hypothèse n’a pu être étayée. Quelle que soit la cible, un passage à l’acte semblait imminent. « Quel monde voulez-vous, messieurs ?, tonne Philippe Courroye. Un monde sans Bataclan ? Sans terrasses de café ? Sans juif ? Sans catholique ? Sans kouffar ? Quelle vie ! » Et de conclure, glacial : «Ce monde-là, il a un nom : l’enfer. »

Il est interdit de nous laisser abuser. L’enjeu est trop grave ”

1. Grand Prix du Festival de Cannes 1998, le chef d’oeuvre de Roberto Benigni raconte la déportatio­n d’un père juif et de son fils, qu’il s’efforce de préserver de l’horreur.

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(Croquis d’audience Christelle Goth) Philippe Courroye aux assises de Paris, hier. Fait rare, deux avocats généraux ont porté l’accusation.

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