La frustration
Les juges d’instruction ont fait le point sur l’enquête devant victimes de l’attentat de Nice... qui attendent aussi des réponses sur le dispositif de sécurité.
Elles sont arrivées en ordre dispersé, visage grave, mère cramponnée au bras de sa fille, couples main dans la main. Les victimes du 14-Juillet et leurs familles, parties civiles de l’attentat de Nice, ont rencontré, hier, trois des six juges d’instruction qui, depuis bientôt un an, mènent l’enquête sur l’attaque au camion qui a fait 86 morts et près de 450 blessés sur la promenade des Anglais. Quatre heures durant, devant près de trois cents personnes, les magistrats parisiens, au premier rang desquels le juge Claude Choquet, l’homme qui porte ce lourd dossier judiciaire, ont expliqué le déroulé des faits tragiques qui ont uni dans la douleur une France black-blanc-beur, de toutes origines et tout milieu social. La France du 14Juillet, rassemblée pour l’occasion dans l’amphithéâtre du Petit Valrose.
« Premier contact »
Même si ce rendez-vous est une obligation légale - le code de procédure pénale impose aux juges de réunir les victimes tous les six mois -, il n’en demeurait pas moins capital pour des victimes en quête de réponses. Pour Guillaume Denoix de SaintMarc, le président de l’Association française des victimes du terrorisme (AFVT), cette réunion était tout simplement « le premier contact » d’une « relation qui va durer des années ». Le temps que durera l’instruction que mènent ces six magistrats spécialisés. Or, souligne-t-il, « le moteur des juges, ce qui les pousse à travailler comme des malades, ce sont bien les victimes! » Et cette « vérité » qu’ils leur doivent.
Questions sans réponse sur le dispositif de sécurité
Pourtant, nombre de questions sont restées en suspend hier. Comme en témoigne Anne Murris, trésorière de l’association Promenade des Anges, mais avant tout maman de Camille, décédée le 14 juillet 2016 : « Il y a quand même eu beaucoup de frustration. Les gens pointent du doigt le dispositif de sécurité. » Pourtant, les magistrats qui leur faisaient face ne sont pas chargés d’en évaluer la pertinence. Leur tâche, déjà immense, se borne à faire toute la lumière sur l’acte terroriste et lui seul. De quoi laisser « les gens un peu sur leur fin » ,noteMe Gérard Chemla. Mais nombre de ses confrères, entendant la «colère légitime » des victimes ont annoncé qu’ils comptaient bien investir cet autre terrain judiciaire. « Nous avocats, nous ferons le travail nécessaire, résume Me Samia Maktouf. Parce qu’il est nécessaire de savoir s’il y a eu des failles, des dysfonctionnements. Si la mairie et la police ont fait le travail nécessaire... Cela fera l’objet d’une instruction distincte. » Et peut-être aussi d’une enquête parlementaire, réclamée hier soir par Marine Brenier, députée de la 5e circonscription et proche du maire de Nice Christian Estrosi.
Une « énigme » et des « doutes »
Le juge Choquet et ses deux collègues, quant à eux, se sont donc concentrés sur le déroulé des faits qui ont conduit au drame. Du moment où Mohamed Lahouaiej Bouhlel range son vélo à l’arrière de son camion de location, jusqu’à cette minute fatidique où il s’apprête à lancer son 19-tonnes sur la Prom’. Le film de ses ultimes préparatifs, extrait des images de vidéosurveillance, a provoqué jusqu’à la nausée de certaines victimes qui ont préféré quitter la salle. Comment ne pas imaginer la suite, terrible? Les parties civiles ne la connaissent que trop bien. C’est pourquoi les juges se sont attachés à leur exposer les éléments antérieurs que leurs investigations ont permis d’établir. Jusqu’à l’inculpation de neuf personnes, toutes écrouées aujourd’hui. « C’est donc qu’il y a des éléments à charge contre elles », note Me Patrick Bérard, tout en soulignant qu’au « terme de l’instruction il faudra que ces éléments se transforment en preuves ». Et pour cela « il va falloir établir de manière extrêmement précise si ces personnes avaient connaissance ou non du projet terroriste de Bouhlel. » Or, pour l’heure des « doutes » subsistent. Tout comme demeure « une énigme » : «L’État islamique a revendiqué l’attentat, rappelle Me Philippe Soussi. Or, à ce jour, le dossier n’a pas établi le lien entre son auteur et cette organisation terroriste. On peut donc se demander si ce n’est pas une revendication opportuniste, souligne cet autre avocat de parties civiles. Même s’il ne faut pas en tirer de conclusion définitive. Car l’enquête se poursuit. Une instruction se construit au long cours. » Et les magistrats ont d’ailleurs annoncé hier aux victimes qu’ils avaient d’ores et déjà lancé de nouvelles investigations (lire par ailleurs).