Monaco-Matin

Maurice,  ans, le mari modèle qui a tué sa femme

Après soixante-huit ans de mariage, Maurice, diminué par un mal lancinant, a serré une ceinture autour du cou de Jacqueline atteinte d’Alzheimer. Le vieux monsieur comparaît aux assises

- CHRISTOPHE PERRIN chperrin@nicematin.fr

C’est un couple qu’on adorait voir. Ils étaient toujours bras dessus bras dessous, très soudé. » La gardienne de l’immeuble de la rue Massena à Menton témoigne avec émotion. « Ils étaient fusionnels », a précisé un enquêteur de la brigade criminelle sur procès-verbal. Charcutier­s traiteurs à la retraite, originaire­s de Champagne-Ardenne, Maurice, 92 ans et Jacqueline, 88 ans, n’avaient pas eu d’enfants. Ils venaient deux fois par an profiter de leur studio et de la douceur de vivre azuréenne. Le 7 juin 2014, Maurice a pris sa ceinture et a serré autour du cou de Jacqueline. Ils sont tombés par terre. Maurice a continué de serrer. « Je n’étais plus moi-même », explique le vieux monsieur qui comparaît libre depuis hier devant la cour d’assises des Alpes-Maritimes. « Je l’ai portée jusqu’au lit. Je l’ai embrassée sur le front. J’ai baissé le store pour qu’elle n’ait pas trop de lumière. »

Il laisse une lettre

Maurice a ensuite avalé quatre plaquettes de somnifères et s’est entaillé le poignet pour rejoindre l’amour de sa vie. Elle est décédée. Il en a réchappé. Blazer impeccable, élocution parfaite, Maurice est invité à s’asseoir par le président Benoît Delaunay. Le retraité est jugé pour meurtre sur conjoint. Huissier, policiers, témoins… Tout le monde est prévenant avec l’élégant vieil homme. Des salariées de la maison de retraite sont même venues le soutenir dans l’épreuve. Ce singulier accusé poursuit son récit, seulement interrompu par des sanglots : « J’étais dans un état second. Le pire de tout, c’est que je me souviens de tout alors que je n’avais plus ma raison. » Il sort un mouchoir en tissu, essuie ses larmes. La gardienne, inquiète de voir les volets clos, est la première à avoir découvert le drame. Maurice gisait dans l’entrée, inconscien­t, perdant du sang. Jacqueline était allongée sur le lit, les bras croisés sur la poitrine. Les policiers ont vite trouvé une lettre de sa main, résumé du drame : « Je sais que je suis perdu. Mes forces m’abandonnen­t. Mon épouse ne peut assumer. Elle perd la tête. Si je pars, elle est perdue. Je suis à bout de tout. Pardon à tous. Adieu. »Sur son agenda, Maurice avait écrit à la date du 7 juin le mot «FIN» Depuis deux mois, lui l’alerte retraité, gros travailleu­r, jamais malade, souffrait le martyre sans qu’un diagnostic précis ne soit posé. Son médecin traitant avait du mal à répondre à ses interrogat­ions. Le même médecin n’a pas non plus répondu à la convocatio­n de la justice. Il est actuelleme­nt en croisière au grand dam de

« Drame de la vieillesse »

Me Emmanuel Voisin-Moncho, l’avocat de l’accusé. Les douleurs de Maurice l’empêchaien­t de prendre le volant pour remonter dans sa région natale. Sa femme présentait les premiers signes de démence. Ce qu’a confirmé l’autopsie. Lui était persuadé d’être rattrapé par un cancer. À une amie qui habite le même immeuble, Maurice avait confié, alors que ses forces l’abandonnai­ent : « S’il m’arrive quelque chose, promettez-moi, n’abandonnez pas ma femme. » Cette amie, appelée à la barre, évoque « un couple formidable ».« C’était une femme surprotégé­e, couvée par un mari d’une extrême tendresse. Il faisait tout : les courses, les repas, le ménage, le repassage .» Les attestatio­ns élogieuses à l’endroit de Maurice et Jacqueline affluent tout au long des débats « On chinait ensemble dans l’arrière-pays ou l’on faisait des promenades. Maurice était très proche d’elle », confirme l’un de leurs amis retraité. « Pour moi c’est un drame de la vieillesse, de la solitude, ils n’osaient pas embêter le voisinage. Je pense que Maurice a fait une dépression. » Les experts, psychiatre et psychologu­e, dans un langage plus abscons, ne disent pas autre chose. 1. Les prénoms ont été modifiés

 ?? (Photo C. Dodergny) ?? Un mari aimant, irréprocha­ble, redoutait de laisser seule l’amour de sa vie. Il est jugé depuis hier pour meurtre aggravé par la cour d’assises présidée par Benoît Delaunay.
(Photo C. Dodergny) Un mari aimant, irréprocha­ble, redoutait de laisser seule l’amour de sa vie. Il est jugé depuis hier pour meurtre aggravé par la cour d’assises présidée par Benoît Delaunay.

Newspapers in French

Newspapers from Monaco