L’anti-Hollande
Souvenir d’un échange avec Emmanuel Macron, dans un salon de l’Elysée, dont il était alors le
secrétaire-général adjoint. « Je ne comprends rien à ce que fait Hollande… Dommage, j’espérais que vous m’expliquiez. Je n’y comprends rien non plus » C’était dit avec ce sourire de connivence et cette ironie dans le regard qui sont la marque d’Emmanuel Macron en privé. L’échange faisait allusion à je ne sais quelle initiative du président Hollande, dont l’habileté tactique – un pas en avant, un pas en arrière – se retournait une fois de plus contre lui. Dans ce « moinonplus » , il y avait toute l’impatience du conseiller Macron devant les atermoiements de son patron et son obstination à toujours chercher un point d’équilibre qui toujours se dérobait. Tout homme se construit plus ou moins par rapport à son père. Par imitation ou par opposition. Macron a choisi la deuxième voie. Que Hollande soit le père politique de Macron, c’est un fait. Il lui a mis le pied à l’étrier et lui a offert, sans le vouloir, la base politique – Bercy – dont le jeune homme fera une rampe de lancement. Sur le fond, le
« en même temps » macronien, qui emprunte à la gauche et à la droite, n’est pas si éloigné de la synthèse social-libérale à laquelle Hollande a vainement essayé de convertir les socialistes. Sur la méthode, le style, l’exercice du pouvoir, en revanche, on peut dire que Macron s’applique à faire le contraire de son prédécesseur. Le post-hollandisme est aussi un anti-hollandisme. Hollande, au fond, n’a jamais vraiment endossé la dimension monarchique de la fonction présidentielle (hormis, bien sûr, face à la tragédie du terrorisme). Macron l’assume et la revendique. Il veut même la restaurer. Comparez les portraits officiels : Macron agrippé à son bureau, entre les drapeaux français et européen ; Hollande, saisi par Depardon au fond du parc, l’Elysée en arrièreplan lointain, comme s’il ne faisait que passer. Hollande a tenté d’incarner une présidence « normale », accessible, scandinave. Macron a choisi de composer un personnage tout en distance et en verticalité. « Jupitérien », selon le cliché en vogue. Hollande usait et abusait de l’humour et de la pirouette. Macron s’en méfie (rare incursion sur ce terrain, la blague sur les kwassas kwassas de Mayotte était pour le moins malvenue). Hollande prenait sur lui pour afficher une inaltérable bonne humeur qui pouvait passer pour de la désinvolture. Macron fait dans la gravité, voire la majesté. Hollande cultivait le contact direct avec les journalistes. Macron les fuit – et même les dédaigne. Hollande s’expliquait beaucoup, « on » ou « off », et se confiait imprudemment. Macron, vrai control freak (obsédé du contrôle), s’entoure de secret et cadenasse sa communication, préférant le formalisme du discours aux aléas de l’interview. Pas de causerie du juillet, cette année ; mais dès le juillet, une adresse solennelle au Parlement et à la Nation. Affaire de style, dira-t-on? Pas seulement. Car si la politique est l’art de rendre possible le souhaitable, les deux hommes s’y prennent de façons radicalement différentes. Hollande, l’ancien premier secrétaire du PS, n’a jamais vraiment réussi à asseoir son autorité sur son camp. Cinq ans durant, il s’est échiné à changer le logiciel de sa famille politique, cherchant par petites touches, d’avancées en concessions, à bâtir un improbable compromis social-libéral, que son aile gauche s’appliquait à saper. L’échec de cette tentative fut sa perte. Pour Macron, c’est l’exemple à ne pas suivre. Sa synthèse à lui son « ni-ni », ou son « et-et » – fait partie de la feuille de route des marcheurs. Elle n’est pas négociable. Pas plus que l’autorité du chef. Les premiers pas de la majorité macronienne le confirment : le président et ses hommes entendent mener leur troupe hétérogène à la baguette. Où l’on comprend que le pouvoir macronien n’est pas une résurgence des chancelantes coalitions de troisième force de la IVe République, mais une forme paradoxale de présidentialisme : un césarisme modéré.