Monaco-Matin

Le combat au nom de Yanis

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Amine a ramené la vie dans le foyer de Samira et Mickaël. Loin de la Prom’, à Grenoble, là où Mickaël a retrouvé du travail. Le nourrisson, né en mai, ne connaîtra pas son grand frère autrement que sur des photos, dans les mots et le regard de ses parents. « Cette naissance, ça fait un peu de bonheur dans tout ça», souffle Mickaël Coviaux. Yanis, leur garçon, avait 4 ans. Un gamin scolarisé à l’école Nice-Flore. Un de ceux qui auraient pu remplir la Méditerran­ée de galets tellement il y en a jetés. Un sacré fripon, si plein de vie, mort un soir de fête. Yanis venait d’engloutir une glace. Il y a presque un an, Mickaël nous avait raconté l’indicible d’une voix blanche, deux jours après l’attentat. Yanis batifolait à quelques dizaines de mètres devant eux sur la Prom’ rendue piétonne. Soudain, le camion. Le hurlement du moteur. Éperdument, le regard de Mickaël cherche son fils dans la foule dense, en panique. « J’avais le sentiment d’une masse noire fondant sur nous en quelques secondes. » Mickaël n’a que le temps d’attraper sa femme, de la jeter par terre, échappant ainsi pour quelques centimètre­s au souffle du camion et de la mort. Quand il se relève, Yanis est là, allongé sur le trottoir. « Il avait des plaies à la tête et le sourire du feu d’artifice accroché aux lèvres. » Mickaël soulève de terre le corps supplicié de son fils, court, sprinte comme jamais, au milieu des cadavres, des blessés. Sept cents mètres vers l’hôpital Lenval.

Une rage puissante qui les motive

Au fond de lui il sait qu’il est trop tard. Contre lui, le coeur de son fils ne bat plus. Les pompiers qui l’ont intercepté ne réussiront pas à le faire repartir. Comment se relever d’un tel drame ? Ils l’ont fait, même si chaque seconde qui passe constitue un mini-combat à elle seule. Bat au fond d’eux une rage puissante. Les parents de Yanis ont pris très tôt un avocat parisien, Me Yassine Bouzrou. Tous trois ont mené la bataille judiciaire. Ils ont déposé plainte avec constituti­on de partie civile. Leur action vise la mairie et l’État, organisate­urs de la sécurité le soir de la Fête nationale. « Si on ne le fait pas, qui va le faire pour obtenir la vérité », rage Mickaël, d’une colère contenue. « Quand les juges viennent à Nice, les gens se réveillent en disant que ce n’est pas ce qu’ils attendaien­t. Depuis le début, nous, on pose les questions. La menace terroriste était claire, explicite. Ils disent avoir prévu tous les scénarios ? Qu’on pense à l’attaque par un drone mais pas à un camion qui fonce dans la foule sur la promenade est juste incompréhe­nsible. » Mickaël et Samira ont découvert, il y a une semaine, qu’ils n’étaient pas recensés au Fonds de garantie des victimes du terrorisme ! « Je ne comprends pas. Les gens n’ont eu que cela en tête. Il y a dix ans pour s’en occuper. Nous, on voulait en priorité et on veut toujours en priorité connaître la vérité. » Mickaël Coviaux estime que les associatio­ns de victimes ne se sont pas suffisamme­nt emparées de la question des responsabi­lités. «Les galets en haut de l’Himalaya, les ballons dans le ciel, c’est bien gentil, mais ça n’apporte aucune réponse. D’ailleurs n’avons jamais rien reçu. Même pour le match des légendes, en faveur des victimes, il nous a fallu payer notre place dans la tribune Ségurane. » Après l’attentat, le couple avait décidé de repartir à Grenoble. Aujourd’hui, ils envisagent de revenir à Nice. Ils y ont reçu tellement de preuves d’amour et de solidarité. Une plaque porte le nom de Yanis à l’école Nice-Flore. Samira ne travaille plus. Lui a perdu 400 euros de salaire et gagné une barbe qui lui sied à merveille. Il était chauffeur poids lourd. À sa reprise, on lui a proposé un camion quasiment identique à celui de la Promenade. Il a refusé tout net. Va pour administra­tif, mais sans enthousias­me. Mickaël enchaîne donc les lettres de motivation pour décrocher un emploi à Nice. Ils reconstrui­sent avec un acharnemen­t méritant une vie en morceaux. Heureuseme­nt, il y a Amine. « Yanis voulait avoir un grand frère. On lui avait expliqué que ce c’était difficile», sourit Mickaël. « Amine est un petit garçon costaud. Ça nous a fait un choc, il ressemble comme deux gouttes d’eau à Yanis.» Amine, c’est la vie. Eperdument.

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