Monaco-Matin

Le calvaire

- Par MICHÈLE COTTA

Pauvre juge Lambert. Voilà plus de trente ans qu’il se consumait, tournant et retournant dans sa tête les premières heures, les premières semaines de l’enquête sur le petit Grégory,  ans, découvert mort et ligoté dans cette rivière devenue depuis tristement célèbre, la Vologne. Si longtemps après, avant-hier, le juge Jean Michel Lambert a été retrouvé mort chez lui, un sac en plastique sur la tête noué par un foulard. Sans doute, on le saura, ce matin, de façon sûre, un suicide. Une tragédie à ajouter à la tragédie de la mort d’un enfant. On imagine la vie qui a été celle de celui que l’on a appelé, parce qu’il avait seulement la trentaine à l’époque, « le petit juge ». Cela voulait dire beaucoup de choses, cette appellatio­n de « petit juge ». Cela voulait dire jeune, et en effet, Lambert l’était, dans ces images qui nous l’ont remontré, récemment, au point qu’on se demande comment une affaire aussi tortueuse – qui reste une énigme depuis tant d’années – a pu être confiée à un magistrat qui a l’air de faire ses classes. « Petit juge », cela veut dire aussi, dans la tête de ceux qui l’ont catalogué ainsi, qu’il n’avait pas été à la hauteur de sa tâche, dépassé par les difficulté­s d’une enquête faussée depuis le début, et surtout la meute des journalist­es qui l’ont assailli, jour et nuit, pendant de longs mois. Jusqu’à ce que, incapable de faire la lumière sur cet assassinat, il soit dessaisi du dossier, et que la justice et la presse, pour un temps au moins, soient passées à autre chose. Il a sans doute eu des torts, le juge Lambert, noyé dans une procédure qu’il ne connaissai­t pas bien, persuadé dès les premières minutes que Christine Villemin, la mère du petit garçon, était le « corbeau » qui avait empuanti l’affaire. Sans doute aussi avait-il été débordé par une célébrité aussi morbide que brutale, puis plongé, immédiatem­ent après, sous les coups d’un lynchage médiatique. Il reste que le juge Lambert, on s’en aperçoit aujourd’hui, a vécu pendant toutes ces années une sorte de calvaire. Parce qu’il ne cessait de se torturer, se demandant où et quand il avait commis des erreurs, et de combien de fautes il avait bien pu être responsabl­e tout au long de sa carrière. Il avait écrit un livre, presque naïf, sur lui-même, puis un autre, sous le titre sombre «De combien

d’injustices suis-je coupable ? », révélateur de sa permanente angoisse. Mais c’est la réouvertur­e récente de la procédure qui lui a sans doute rappelé ce qu’il ne parvenait pas oublier, le terrible imbroglio judiciaire au centre duquel il avait été. Et surtout, l’annonce de la publicatio­n prochaine des notes prises par son successeur, Maurice Simon, dénonçant ses « carences, ses irrégulari­tés, et son désordre intellectu­el » l’a-t-il touché au coeur pour la dernière fois. Après tout, errements procédurau­x, erreurs d’analyse ou pas, un juge est un homme. Le juge Lambert nous l’a rappelé, avant hier. « Cette affaire, avait-il écrit, m’a fracassé. » En effet.

« Après tout, errements procédurau­x, erreurs d’analyse ou pas, un juge est un homme. »

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