Ajax : plaisir total
La télé était en noir et blanc. Les commentaires de Michel Drucker. Dans le petit poste, une équipe révolutionnait le football. Les défenseurs attaquaient, les attaquants défendaient. Les uns créaient des espaces, les autres les refermaient. Tous couraient à 200 à l’heure. Sauf Stuy, le gardien large comme un frigidaire. Les autres ressemblaient aux Beatles. Cheveux longs, idées larges, ils étaient beaux, élégants, aériens. Bref, on n’avait jamais vu ça. C’était fou, incroyable, sublime. C’était l’Ajax. L’inoubliable Ajax Amsterdam des années 70 et son football total semé par Rinus Michels et cultivé par Stefan Kovacs. Derrière l’aspect romantique de ce jeu en liberté où l’important était le mouvement se cachaient la discipline et l’engagement physique. Rinus Michels était un général qui ne plaisantait pas avec les consignes quand Stefan Kovacs était un roublard qui riait avec ses joueurs et les plumait aux cartes. Kovacs, qui grillait cigarette sur cigarette, était malice et psychologie. À cette époque, l’Ajax n’était pas le club le plus fortuné du monde, mais il était le fin, le plus fort. « Notre richesse est sur le terrain, pas dans les coffres », aimait dire le président Jaap Van Praag. Son bien le plus précieux : Johan Cruyff. Un enfant du club dont la maman était femme de ménage au stade de Meer, là où l’Ajax lessivait ses adversaires. Son petit était un génie. Un joueur horsnorme. Cruyff avait tout. La classe, l’efficacité, la grâce, l’intelligence. Il avait le sens de la passe et celui du but. C’était un leader, un créateur, un meneur, un inventeur, un buteur. Il mettait le jeu en musique et dansait sur le ventre de ses ennemis. Même les arrières-bouchers les plus sanguinolents n’arrivaient pas à stopper ses chevauchées. On n’attrape pas un mythe. On n’arrête pas une légende. Johan Cruyff était le jeu. Ceux qui, comme moi, se sont éveillés au football au début des ‘’seventies’’ ne peuvent pas avoir oublié le champion d’Europe 71, 72, 73 : le grand Ajax. Le roi Ajax. Et son phénomène qui habitait au numéro 14.