Monaco-Matin

L’extraordin­aire leçon du professeur Bron

Pendant une semaine, le grand violoniste Zakhar Bron anime une masterclas­se dans l’enceinte du conservato­ire de Menton. Une vingtaine d’élèves issus de son école prestigieu­se de Zurich y participen­t

- A.P. ANDRÉ PEYRÈGNE

Il est presque midi, en cette chaude journée d’été, lorsque nous arrivons dans la grande salle du conservato­ire de Menton. Au dehors, la vie ralentit, se prépare à la pause méridienne. Ici, on travaille. Dur. Et on ne compte pas s’arrêter. Debout, au milieu de la salle, se dresse la silhouette imposante d’un homme à la chevelure grise, tenant un violon à la main. Devant lui, une jeune musicienne a aussi un violon sur son épaule. Tout en jouant, elle interroge l’homme du regard. L’homme est l’un des meilleurs professeur­s de violon du monde. Il s’appelle Zakhar Bron, vient de Russie, est établi en Suisse, où il dirige à Zurich une école pour musiciens surdoués. Plus de cent de ses anciens élèves ont remporté des concours internatio­naux. Parmi eux Vadim Repin, Maxim Vengerov, David Garrett.

Des élèves de  à  ans

La jeune fille s’appelle Isabelle. Elle a 15 ans, arrive du Luxembourg. Comme une vingtaine d’autres violoniste­s âgés de 9 à 16 ans, elle est venue à Menton, afin de suivre les cours publics Trois heures d’airs baroques, de duos frémissant­s, de vocalises de contre-ténors (voix d’hommes chantant dans une tessiture féminine), trois heures de sonorités scintillan­tes jaillies des instrument­s anciens de l’excellent ensemble « Matheus » sous la direction de son charismati­que chef d’orchestre JeanChrist­ophe Spinosi : hier soir a eu lieu une grande première sur le parvis Saint-Michel, l’interpréta­tion intégrale d’un grand opéra baroque, en l’occurrence le « Couronneme­nt de Poppée » de Monteverdi. L’histoire est celle de ce fou d’empereur Néron qui, tombé amoureux de l’intrigante Poppée, répudie sa femme pour couronner son amante à sa place. Le philosophe Sénèque, qui ne supporte pas la situation, se suicide au beau milieu de l’opéra. L’interpréta­tion se fit sous que donne le maître dans le cadre du Festival de musique. Isabelle attaque une sonate de Prokofiev. Aussitôt, le maître l’arrête. Dès la première note, il a des choses à dire. Il ne laisse rien passer. Il veut que chaque note, chaque phrasé, chaque respiratio­n ait un sens. Interpréta­tion de gala de l’opéra de Monteverdi par l’ensemble « Matheus ».

forme d’un concert dans lequel les chanteurs, sans être vêtus de costumes d’opéra, se déplaçaien­t et esquissaie­nt des gestes sur scène. Par mesure de sécurité, et afin de garantir l’audition aux rangs les plus éloignés, le spectacle avait été sonorisé. Cette première expérience d’opéra baroque sur le parvis Pendant un long moment, le maître va s’acharner sur l’enchaîneme­nt de trois notes, si-ré-si. D’abord le premier si : « Plus haut le doigt de la main gauche ! Non un peu moins ! Trop dur le coup d’archet, le son est agressif ! Non, non, l’archet doit être plus rapide ! Je veux un son plus souple, plus…

Saint-Michel, devant une salle une fois de plus comble, a été un succès. On en redemande ! Le tout se déroula jusqu’au sublime duo final entre Néron et Poppée. Un morceau d’anthologie. Un seul regret : que Sénèque n’ait pu l’entendre. Il s’était suicidé au milieu de l’opéra ! « amoureux », plus rêveur ! Du rêve, s’il vous plaît, du rêve ! » (Il dit « dream » en anglais au coeur d’un cours donné en allemand). Zakhar Bron prend son violon, joue lui-même cette note si. La salle s’emplit d’une sonorité lumineuse. Le maître se met à esquisser un pas de danse pour donner de l’élan à sa note. On n’attaque pas de la même façon une note si on s’apprête à jouer une danse ou une marche militaire ! Une fois que cette première note est au point, il faut enchaîner avec la suivante. On travaille l’intervalle si-ré. Même chose : pendant de longues minutes on corrige, on reprend la nuance, l’élan, la vitesse d’archet, l’intensité de l’attaque. Dix bonnes minutes sont passées lorsqu’on rajoute la troisième note : le si grave. Un quart d’heure est nécessaire pour que le maître soit satisfait de l’enchaîneme­nt des trois notes. À ce rythme-là, il faudra un mois pour travailler la partition entière ! Il y a, dans le cours de Zakhar Bron, une immense leçon de patience, de persévéran­ce et d’humilité ! Tous ceux qui l’ont entendue n’oublieront pas la leçon du professeur Bron… Concert de certains élèves de la masterclas­se de Zahar Bron aujourd’hui, jeudi, à 18 heures au Musée Cocteau. À 16 h 30 , square des Etats-Unis. Gratuit.

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(Photos Michaël Alesi) (Photos Michaël Alesi) (Archive Photo Cyril Dodergny) Le grand professeur de violon Zakhar Bron donne une leçon à Isabelle, venue du Luxembourg. La masterclas­se se déroule toute la semaine au conservato­ire de Menton. Savoir +

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