Monaco-Matin

Chevaliers du ciel

Castagnier­s, Carros, Lucéram... Les hélicoptèr­es bombardier­s d’eau totalisent déjà mille largages sur les incendies, cet été, dans les Alpes-Maritimes. Récit de ce combat par Frédéric, l’un des pilotes en poste à Sophia Antipolis.

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On est peu de chose face à la nature. C’est elle qui commande. » De ses trente années de pilotage, rythmées par quelque  heures de vol dans les milieux les plus périlleux, Frédéric Dumont a retiré deux enseigneme­nts: humilité et vigilance. Deux fondamenta­ux pour devenir « un vieux pilote », comme il dit, en faisant tout pour éviter le gros pépin. Cet été, il vous est probableme­nt arrivé de lever le nez en l’air à son passage. Frédéric,  ans, vit à Bordeaux. Mais voilà vingt-deux étés que ce Limousin d’origine survole nos massifs. D’abord dans le Var, puis les Alpes-Maritimes depuis . Il est l’un de ces pilotes d’Hélicoptèr­e bombardier d’eau (HBE) qui exécute des manoeuvres spectacula­ires au-dessus des incendies. Du  juillet au  septembre, trois HBE sont positionné­s à la base de Sophia Antipolis, derrière le centre d’incendie et de secours. Affrétés par la société varoise Héli Protection, ils sont loués par le Service départemen­tal d’incendie et de secours (Sdis) . Cinq pilotes y opèrent: le chef de détachemen­t Lilian Robert, son adjoint Frédéric Dumont, Gilles Bocard, Vittorio Masetti et Stéphane Luchini. La plupart ont reçu une formation militaire. À l’image de Frédéric, ancien adjudant. Rarement ces soldats des airs auront eu à mener un combat aussi intense qu’en cet été brûlant. Frédéric a été de toutes les interventi­ons, de Castagnier­s à Lucéram, où il a encore largué vendredi soir. Retour d’expérience hors norme.

Aviez-vous déjà connu un été aussi « chaud » sur la Côte d’Azur ? On se rapproche déjà de , où il y avait eu trois gros « chantiers » à Utelle, Bairols et Ilonse. Là, à misaison, on a déjà fait quasiment autant d’heures de vol qu’en  ! Pour arriver à un tel niveau, il faudrait remonter à … Cet été, chaque pilote compte déjà une soixantain­e d’heures de vol, soit  ou  sorties. Les trois machines cumulent au moins  heures de vol. En tout, on est proche des mille largages.

Notamment à Lucéram, dernier gros « chantier » en date, qui a parcouru la plus grande surface ? Il a été virulent, comme ceux de Castagnier­s ou Carros. Il y a eu la combinaiso­n du vent et de l’effet Venturi, un effet « entonnoir » qui accélère la vitesse du feu. Castagnier­s, Carros, Saint-Vallier, Saint-Cézaire, Rigaud, Lucéram… Tous ces feux d’intensité assez proche, qui ont brûlé chacun  à  hectares, ont en commun des départs assez violents, liés au vent, à la géographie physique et à une végétation très, très sèche.

À quoi ressemble une journée type ces temps-ci ? Trois pilotes prennent leur alerte à midi ou, à la demande du Codis, plus tôt – ce qui est arrivé souvent. La mission se termine à  h, ou plus, comme à Lucéram vendredi. Au coucher de soleil, on clôt les opérations ; il nous reste alors trente minutes pour rentrer avant le coucher de soleil aéronautiq­ue.

En théorie, vous pourriez intervenir de nuit aussi ? Certains d’entre nous sont en effet qualifiés pour les vols de nuit. Cela se fait aux États-Unis, par exemple. Mais cela requiert des procédures particuliè­res et un équipement supplément­aire, tel le dispositif de vision nocturne. On interviend­rait alors sur des feux déjà fixés. En revanche, de nuit, on voit très bien ce qui se passe au sol… Et cela a tendance à faciliter le travail.

Cet été, quel a été le feu le plus compliqué à traiter ? Ça a commencé très fort, car le feu à Castagnier­s a commencé sous des lignes haute tension. Comme mise en bouche, c’était pas mal ! La formation militaire nous a appris à passer sous les lignes. Mais on n’y va pas comme ça. Pour s’affranchir des obstacles, il a fallu beaucoup travailler les trajectoir­es, présentati­ons, phases de largage, remises des gaz…

Il faut s’adapter en permanence ? C’est exactement ça. Il faut toujours rester vigilant. Chaque chantier est nouveau, ce ne sont jamais les mêmes conditions.

À Carros, la proximité immédiate des habitation­s rendait votre interventi­on très délicate ? Oui, car les largages sont soumis à l’autorisati­on du Commandant des opérations de secours (COS) et de la nôtre. Si on voit du monde en dessous, on ne largue pas… Sauf pour les « largages de sécurité » : on passe alors plus vite et plus haut pour brumiser. Ainsi, vous recevez une bonne douche, mais vous ne chutez pas ! Ceci dit, on a une précision à - mètres près.

Avez-vous aussi été sollicités sur le récent feu d’Olivetta, à la frontière franco-italienne ? Nous sommes intervenus à Breil car une partie du feu était en train de basculer en France. On a préféré anticiper. On a opéré avec les sera cette année supérieur, vu la forte activité opérationn­elle », Italiens, puis on les a laissés travailler, l’activité étant bien plus importante de leur côté.

Où vous ravitaille­z-vous si le lit des cours d’eau est au plus bas ? Dans les petits « carrefours » de cours d’eau, il y a des profondeur­s suffisante­s pour mettre la pompe. Il nous suffit d’un rien pour pomper. Le fleuve Var nous a aidés à Carros et Castagnier­s, heureuseme­nt ! Si les délais de rotation avaient été plus importants à Carros, où l’on protégeait des habitation­s, les conséquenc­es auraient été plus dramatique­s…

Et quand il n’y a pas de cours d’eau à proximité ? On se ravitaille dans les citernes, comme à Lucéram : on pose l’hélicoptèr­e à côté, on ouvre la trappe et « le bar est ouvert »… Les agents de Force  ont aussi des camions-citernes « Cette interview pourrait laisser entendre que le Sdis  aurait vu ses moyens financiers et humains diminuer, comme cela a pu se produire ailleurs en France. C’est en réalité le contraire qui s’est réalisé, Sous l’autorité de son président Eric Ciotti, le conseil d’administra­tion du Sdis a voté un budget  de , millions d’euros ».

«En matière de lutte contre les feux de forêts le Sdis  peut ainsi, durant la période estivale, louer des hélicoptèr­es bombardier­s d’eau adaptés à la morphologi­e de notre territoire, ce qui n’existe pas dans tous les départemen­ts de la façade méditerran­éenne. »

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(Photo Jean-Sébastien Gino-Antomarchi) Frédéric Dumont, chef de détachemen­t adjoint, sur la base de Sophia Antipolis.
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