Mondialisation de la terreur
Où ? N’importe où. Quand ? N’importe quand. Qui ? N’importe qui. Par quels moyens ? N’importe lequel. Le propre du terrorisme djihadiste, ce qui le distingue de toutes les vagues de terrorisme connues dans le passé, c’est qu’il semble fonctionner à la manière d’une loterie folle répandant la mort en tous temps et en tous lieux sans choisir ses victimes. Tous, qui que nous soyons, où que nous vivions, nous sommes tous des cibles potentielles. Cela serre le coeur de l’écrire : oui, nous sommes tous Julian, l’adorable petit garçon australien aux yeux rieurs, fauché un triste soir d’août par la fourgonnette des tueurs sur les ramblas de Barcelone. Parties de ce Moyen-Orient « compliqué » où fermentent des siècles de haines religieuses, ethniques ou nationales, attisées par la culture du ressentiment envers l’Occident, les métastases se sont répandues sur toute la surface de la planète. Telle est la logique du djihad global proclamé par les chefs du califat autoproclamé dit État islamique. En ce sens, on peut dire que le terrorisme, comme les délocalisations industrielles, le tourisme de masse ou les grandes vagues migratoires, est devenu un élément constitutif de la mondialisation. Barcelone, comme hier Nice, si gaie, si festive, si cosmopolite. Et sans doute désignée comme cible pour cette raison précisément, afin de frapper les esprits. Et puis à l’autre bout du continent, Turku (Finlande). Et puis Sourgout (Sibérie). Et peut-être hier Marseille (lire plus loin), où l’enquête, nous dit-on, s’oriente vers une « piste psychiatrique ». Mais la frontière est-elle si nette? Relire Rhinocéros de Ionesco : il y a un mimétisme du mal. Une contagion de la violence. En appelant au meurtre des mécréants, mauvais musulmans et autres « croisés », les chefs de Daesh ont fabriqué une machine infernale qui prospère et se nourrit de ses propres crimes. Par l’horreur même qu’ils suscitent, les attentats planifiés et organisés par l’Etat islamique (Paris, Barcelone) exercent une fascination morbide sur des personnalités dérangées ou sur des esprits habités par le fanatisme religieux, la haine du monde occidental, le nihilisme, la frustration, ou le simple désir d’exister, et parfois tout cela à la fois – car les « motivations » des djihadistes, à en croire les rares études sur le sujet, sont rarement uniques. Au moment où l’Etat islamique est la cible d’un triple assaut en Syrie, en Irak et au Liban, et probablement en passe de perdre son fief de Tal Afar, on voudrait croire que la chute inéluctable du « califat » marquera la fin des années noires du terrorisme islamiste. Et de l’ascendant qu’a pu exercer Daesh sur des esprits égarés. Sans doute la recrudescence actuelle des attentats témoigne non de sa puissance mais du désarroi et de la rage d’une organisation affaiblie, et qui perd sans cesse du terrain. Mais l’histoire récente et les multiples avatars de l’islamisme radical, sa capacité à muter, à survivre à ses défaites et à diversifier son implantation en exploitant les failles du désordre mondial invitent à plus de prudence. Si Daesh est une maladie de la mondialisation, c’est à la communauté internationale et aux puissances régionales au premier chef d’inventer, demain, un Moyen-Orient où un autre État islamique, quel que soit son nom, ne serait plus possible. La paix de notre monde interdépendant est à ce prix.
« Qui que nous soyons, où que nous vivions, nous sommes tous des cibles potentielles »