Monaco-Matin

«La plupart des sondages confirment le Brexit »

Le 23 juin 2016, les Britanniqu­es décidaient par référendum de tourner le dos à l’Union européenne. Un an après, Karine Tournier-Sol revient sur ce coup de tonnerre que personne n’avait vu venir

- PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE-LOUIS PAGÈS plpages@varmatin.com

Maître de conférence­s en civilisati­on britanniqu­e à l’université de Toulon, spécialist­e du Ukip et des relations entre le Royaume-Uni et l’Europe, Karine Tournier-Sol est l’auteur d’un livre passionnan­t sur le parti du charismati­que Nigel Farage et de son combat, finalement gagné : faire sortir le Royaume-Uni de l’Union européenne. Entretien.

La victoire du « oui » au référendum, qui conduit à la sortie d processus du Brexit, était-elle vraiment surprenant­e ? Oui, assurément. Personne ne s’y attendait : ni les instituts de sondages, ni les bookmakers, ni les opposants au Brexit, ni même ses partisans. Nigel Farage, leader du UK Independen­ce Party (Ukip) – né de la volonté de faire sortir le Royaume-Uni de l’Union européenne –, avait même concédé la victoire peu après la fermeture des bureaux de vote. Certes, l’euroscepti­cisme britanniqu­e était notoire, mais il était resté largement rhétorique et théorique, et nul n’avait anticipé l’issue du référendum. Tout le monde s’accordait à penser que les électeurs privilégie­raient au final les intérêts économique­s, et donc que le fameux pragmatism­e britanniqu­e l’emporterai­t sur le saut dans l’inconnu.

Si le référendum avait lieu aujourd’hui, le résultat serait-il le même ? Globalemen­t, depuis un an, la plupart des sondages d’opinion n’ont fait que confirmer le vote du  juin . Mais n’oublions pas que le Brexit n’est pas encore une réalité. Les négociatio­ns commencent à peine. Des dissension­s sont déjà apparues au sein du gouverneme­nt de Theresa May entre une version modérée du Brexit et une version plus dure. Il n’est pas impossible que l’opinion publique évolue en fonction du type d’accord qui va se dessiner et de son impact sur l’économie du pays. On parle actuelleme­nt d’un processus de transition, ce qui montre bien les difficulté­s anticipées par le gouverneme­nt.

Les résultats du référendum semblent montrer une société britanniqu­e coupée en deux. Que faut-il redouter de ce constat? En effet, les résultats du référendum ont révélé une profonde fracture de la société britanniqu­e. Et ceci à plusieurs niveaux. Entre les différente­s nations d’abord, puisque l’Écosse et l’Irlande du Nord ont voté pour rester dans l’Union européenne. Entre les grandes villes cosmopolit­es d’une part qui ont plébiscité le maintien, et les villes moyennes et autres zones rurales d’autre part. Entre les génération­s, puisque les personnes âgées ont voté majoritair­ement pour le Brexit, au contraire des jeunes. Et surtout entre les électeurs non diplômés et ceux qui ont un niveau d’études plus élevé. L’éducation a été le principal facteur de clivage entre les deux camps. La clé du vote. Les catégories socioprofe­ssionnelle­s les plus défavorisé­es ont voté pour le Brexit. Cela traduit une inquiétude profonde face au processus de mondialisa­tion, mais aussi une crainte identitair­e, marquée par une forme de nostalgie du passé impérial du Royaume-Uni qui s’exprime par une montée du nationalis­me. Rappelons que la victoire du Brexit a été largement perçue comme une manifestat­ion de la poussée populiste à l’oeuvre dans les démocratie­s occidental­es. Le défi du gouverneme­nt britanniqu­e aujourd’hui, tout comme ses homologues européens, est de parvenir à endiguer cette vague en répondant aux inquiétude­s des électeurs.

Quand on voit la situation actuelle du Ukip (guerre intestine, déroute aux dernières législativ­es, finances dans le rouge…), le Brexit est plutôt une malédictio­n, non? En effet, et c’est là tout le paradoxe : le Ukip a été explicitem­ent créé pour faire sortir le Royaume-Uni de l’UE. Le résultat du référendum marque donc la consécrati­on de son combat originel. Or cette victoire pourrait bien se révéler être une victoire à la Pyrrhus, dans la mesure où elle menace la survie même du parti. En gagnant le référendum, le Ukip a perdu sa raison d’être, et il traverse actuelleme­nt une crise existentie­lle, qui a fait resurgir les guerres de factions dont le parti est coutumier depuis sa création. Dans ce contexte, la débâcle des législativ­es était largement prévisible. La survie du parti passe-t-elle nécessaire­ment par un retour de Nigel Farage aux manettes ? Le départ de Nigel Farage après le référendum a été un coup dur pour le parti, dont il était le leader emblématiq­ue et charismati­que. Il a su transforme­r le Ukip, qui a connu un succès inédit, illustré notamment par sa victoire historique aux élections européenne­s de . Après la démission du leader en place suite à la défaite des législativ­es en juin dernier, Farage a laissé planer le suspense sur sa possible candidatur­e au poste de leader, avant de finalement renoncer. Malgré tout, il est encore un peu tôt pour annoncer la disparitio­n du parti. Le Ukip a déjà démontré ses capacités d’adaptation en se relevant de situations difficiles par le passé, et surtout il a su évoluer ces dernières années en un parti populiste qui surfe sur le mécontente­ment des électeurs à l’égard de la classe politique traditionn­elle. Il y a fort à parier que ce mécontente­ment ne tardera pas à resurgir avec la mise en oeuvre du Brexit. La survie du parti, autoprocla­mé « gardien du Brexit », dépendra d’ailleurs aussi de la forme que prendra ce dernier. Paradoxale­ment, moins le Brexit sera radical et donc conforme à la volonté du Ukip, plus le parti aura de l’espace pour exister. Ce qu’il perdra sur le terrain des idées, il le gagnera sur le terrain politique.

Le Brexit est le résultat d’une poussée populiste ” Le FN n’est pas l’équivalent français du Ukip ”

Malgré les dénégation­s de ses dirigeants, le Ukip est-il le FN britanniqu­e ? C’est assez tentant de ce côté-ci de la Manche d’assimiler le Ukip au Front national. Or, le fait est qu’il n’y a tout simplement pas d’équivalent français du Ukip. Si les deux partis partagent assurément des points communs (discours anti-immigratio­n, anti-Europe et anti-élites), des différence­s importante­s les séparent. Ainsi, contrairem­ent au FN, le Ukip prône le libéralism­e économique. Autre différence revendiqué­e par le Ukip : celui-ci est né de l’euroscepti­cisme et ne partage donc pas l’héritage de l’extrême droite qui pèse sur l’image du FN. Le lien entre l’Europe et l’immigratio­n établi par les deux partis est le résultat d’un processus inversé : le Ukip a d’abord été un parti centré sur un seul et unique enjeu, l’Europe, avant d’y associer la question de l’immigratio­n. Le FN, lui, a fait exactement le contraire. Pour marquer sa différence avec l’extrême droite, le Ukip se défend explicitem­ent de tout racisme. Ceci dit, dans les faits, ce n’est pas si simple, comme le prouvent les dérapages racistes récurrents de certains responsabl­es officiels, ou encore l’infiltrati­on avérée du parti par l’extrême droite dans le passé. Aujourd’hui, le Ukip est donc à un moment charnière de son existence : s’il veut espérer survivre, il doit conserver son identité propre, celle d’un parti populiste et non d’une incarnatio­n de l’extrême droite britanniqu­e. Sans quoi il est condamné à la marginalit­é, voire à l’extinction. 1. Prendre le large. Le Ukip et le choix du Brexit, aux éditions Vendémiair­e, en librairie depuis le 24 août.

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(Photo Hélène Dos Santos)

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