Monaco-Matin

Quand les réseaux sociaux aident les chercheurs

Pour explorer les conséquenc­es du changement climatique sur la faune de Méditerran­ée, Depuis juin, l’AMPN fait appel aux plongeurs par le biais des réseaux sociaux. Et ça marche !

- LUDOVIC MERCIER lmercier@nicematin.fr Savoir + www.facebook.com/ecocimed http://www.fish-watch.org/

Les chercheurs ne sont pas des grands fans des réseaux sociaux. C’est un fait, c’est comme ça. Mais cela va changer, grâce à la science participat­ive. Le professeur Patrice Francour du laboratoir­e Ecomers (Université de Nice Sophia-Antipolis et CNRS), le reconnaît bien volontiers. «Je n’aimais pas trop Facebook. Mais là, j’y vois une vraie utilité.» Car depuis juin, l’Agence monégasque de protection de la nature (AMPN) a lancé, en partenaria­t avec le laboratoir­e Ecomers le programme Ecocimed, pour les écocitoyen­s de Méditerran­ée. Leur objectif: centralise­r les observatio­ns des usagers de la mer pour aider les scientifiq­ues à étudier l’évolution du milieu marin.

Poissons mortels ou ravageurs

Et pour ça, quoi de mieux qu’une bonne vieille page sur le réseau social au pouce bleu? «Cela nous permet de recevoir des informatio­ns des abonnés, mais aussi d’effectuer une veille sur ce qu’ils publient sur leur page» explique Jacqueline Gautier-Debernardi, directeur de l’AMPN. En effet, les nombreux plongeurs amateurs ou profession­nels de la mer, sont toujours prolixes en matière d’image de leurs prises ou de leurs rencontres avec les habitants de la grande bleue. «Aujourd’hui, le plongeur veut plonger utile. Le filet a été remplacé par l’appareil

photo, et ils veulent savoir ce qu’ils ont vu», constate Patrice Francour. Et c’est en observant ces clichés qu’il peut, parfois, repérer des poissons qui n’ont rien à faire ici. Dans la ligne de mire: le poisson-lapin, le poisson-flûte, ou le poisson-perroquet, soupçonnés de s’être faufilés par le Canal de Suez. Mais aussi un cousin du fugu, ce poisson que les Japonais adorent et dont le venin est mortel. Le dit-cousin, déjà pêché en Méditerran­ée orientale, a fait plusieurs victimes en Israël. Et s’il est encore rare dans nos eaux, le lagocephal­us

sceleratus y a tout de même été vu récemment: «J’ai réuni plusieurs observatio­ns réalisées au cours des trois dernières années, dont une pêche à Villefranc­he-surmer. C’est donc typiquemen­t une espèce sur laquelle un réseau actif de collecte d’informatio­ns comme Ecocimed peut jouer un rôle dans un proche avenir.» Dans tous ces cas, le chercheur avance que «le rôle des scientifiq­ues est de prévenir les pouvoirs publics pour qu’ils prennent les mesures adaptées». Seulement pour cela, il faut être informé, et il n’y a

pas suffisamme­nt de chercheurs sur le littoral pour avoir des yeux partout. Alors, l’AMPN et Ecomers ont eu l’idée de mettre à contributi­on les internaute­s. Plus précisémen­t, ils ont développé un peu plus le concept d’un autre site, auquel participe le chercheur de l’Université de Nice, le Fish watch forum: «C’est un site que nous avons lancé avec Patrick Louisy, qui est très connu dans le monde de la plongée parce qu’il a publié le seul livre de photos sousmarine­s d’Europe. Sur ce site, la démarche était de laisser les utilisateu­rs soumettre leurs photos et poser des questions. Et déjà, ça fonctionna­it, puisque nous avons eu environ 500 signalemen­ts intéressan­ts en trois ans d’activité, sans jamais faire la promotion du site.»

Donner pour recevoir

Un succès dû, en partie, au retour dont bénéficien­t les utilisateu­rs. « Nous le constatons très souvent: les plongeurs veulent tout savoir sur les espèces qu’ils rencontren­t», confie Jacqueline Gautier-Debernardi. Alors Patrice Francour met un point d’honneur à transmettr­e de l’informatio­n. Son expérience lui montre que les amateurs du monde du silence sont très demandeurs : «En 1987, en tant qu’étudiant, j’ai lancé une enquête sur les oursins diadèmes dans la revue de la fédération de plongée. Je reçois encore aujourd’hui, trente ans après, des informatio­ns sur ces oursins. Parce qu’ils savent qu’ils auront un retour.» Alors, en plus de contacter les auteurs des signalemen­ts intéressan­ts pour avoir le maximum d’informatio­n (et écarter les récits incohérent­s), il écrit régulièrem­ent des fiches détaillées qui vulgarisen­t et enseignent les particular­ités des specimens observés. Comme cette fiche sur le poisson-perroquet, sur laquelle on apprend que les Romains avaient déjà importé des individus à l’époque de Pline l’Ancien. C’est pour toutes ces raisons qu’ils ont lancé Ecocimed, qui bénéficie d’un financemen­t obtenu par un appel à projet de la Fondation Crédit agricole pour le materiel, et la formation des plongeurs. Et le programme rencontre un franc succès: «Je ne peux pas passer tout mon temps sur Facebook, glisse le scientifiq­ue. Alors nous allons devoir trouver des financemen­ts pour employer quelqu’un qui s’occupera de réceptionn­er et de faire le tri.»

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(Photo Michael Alesi) Jacqueline Gautier-Debernardi et Patrice Francour seront bientôt débordés par le succès du site.

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