Du théâtre sur le toit de la prison
Le monologue de Koltès « La nuit juste avant les forêts » sera joué jeudi dans ce lieu insolite. Un projet culturel remarquable, monté en étroit partenariat avec la direction des services judiciaires
Le projet est né le mercredi 3 mai, en fin d’après-midi, sur la terrasse du Musée océanographique. La journée touche à sa fin. La lumière commence à s’atténuer. Le tout-Monaco institutionnel et culturel est réuni pour assister au vernissage de l’exposition horsnorme Borderline, du plasticien Philippe Pasqua, qui lève alors le voile sur ses oeuvres monumentales. L’artiste présente notamment son désormais célèbre mégalodon en métal chromé, ce requin XXL la gueule béante. Parmi les nombreux invités présents, France Bournet, une ingénieure culturelle installée à Nice. Son job: monter des événements culturels dans des lieux atypiques.
Le déclic
Depuis cette sublime terrasse panoramique dominant la mer, elle aperçoit en contrebas le toit de la maison d’arrêt de Monaco. Un grand espace surplombant lui aussi la Grande Bleue. «Borderline», «prison», ambiance de début de soirée… Et puis, cette phrase extraite du catalogue de l’exposition de Philippe Pasqua: «En mer, comme sur terre, l’artiste s’intéresse aux marginaux, aux fragiles, aux effrayés parfois effrayants, à ceux restés sur le bas-côté». C’est le déclic. «J’ai eu l’idée de monter une pièce de théâtre sur le toit de cette prison. Le nom de l’auteur s’est imposé d’emblée.» Il s’agit de Bernard-Marie Koltès, le célèbre dramaturge français décédé bien trop tôt, à 41 ans, du sida. C’était en 1989, à l’époque où la France commençait à réaliser l’importance et l’ampleur de l’épidémie. Koltès est notamment l’auteur de « La nuit juste avant les forêts », un long monologue de 63 pages, sans aucune ponctuation, monté au festival off d’Avignon en 1977. Depuis, de grands comédiens ont joué cette longue phrase, à l’image de Romain Duris, en 2012 au Théâtre national de Nice. Le texte de Koltès est d’une modernité étonnante. L’auteur, alors âgé de 28 ans, parle de la vie en banlieue, du chômage, du malaise de la jeunesse… Des propos qui résonnent toujours avec la même acuité, près de quarante ans après. Ce jeudi 21 septembre, c’est un jeune et talentueux comédien de 21 ans issu du cours Florent, Eugène Marcuse, qui va interpréter cette pièce compliquée, qui requiert «un grand talent et la fougue de la jeunesse», assure France Bournet.
Entre chien et loup
La mise en scène de la pièce est signée Jean-Pierre Garnier. Le metteur en scène et le comédien découvriront les lieux la veille au soir, et ne disposeront que d’une répétition générale pour prendre leurs marques. Sur le plan pratique, l’aménagement de ce lieu insolite pour un événement culturel sera sommaire : «Des chaises pour le public, quelques lampes de chantier pour l’éclairage (ces grandes ampoules que l’on voit sur l’autoroute la nuit, N.D.L.R.) ,un micro et deux enceintes», dévoile l’organisatrice. Le comédien ne disposera de rien d’autre, aucun artifice scénique. Histoire de préserver l’ambiance de la pièce, «entre chien et loup », illustre France Bournet. L’horaire de la pièce, 19h30, est d’ailleurs parfaitement adapté à cette ambiance de coucher de soleil.