La question française
La recette de la mayonnaise, chacun la connaît. Quant à savoir pourquoi une mayonnaise prend ou ne prend pas, cela relève des mystères de la biologie moléculaire. Les mouvements sociaux, c’est pareil. En cet automne de grogne et de rogne où se joue le quinquennat Macron, tous les ingrédients sont sur la table. Salariés du privé (réforme du Code du travail), étudiants (baisse des APL), retraités (hausse de la CSG), fonctionnaires (gel du point d’indice, baisse programmée des effectifs), cheminots (menaces sur leur régime spécial), camionneurs : tous les groupes sociaux ou à peu près ont des motifs de mécontentement ou d’inquiétude (réformes à venir des retraites et de l’assurance chômage). Quant à savoir si la mayonnaise prendra… Cela relève des mystères de l’alchimie sociale à la française. L’un, Jean-Luc Mélenchon, s’active de toutes ses forces à touiller le mélange pour agréger les revendications en un vaste « front social » et rêve d’un nouveau décembre une défaite face à la rue qui coupa les jarrets de Juppé et annonçait déjà la débâcle électorale de . L’autre, Emmanuel Macron, s’emploie à coup d’anticoagulants et avec des bonheurs divers (la gestion du « cas FO » était aussi habile qu’était maladroite la sortie sur les « fainéants ») à empêcher que le mélange prenne. Le rêve de l’un est le cauchemar de l’autre. Dans trois mois, il y aura un vainqueur et un vaincu. Dans un de ces paradoxes qu’il affectionne, Emmanuel Macron a assez justement planté le décor : « Les Français détestent les réformes. » On y a vu une pirouette. C’était un aveu : manière de dire, à la lumière de l’histoire récente, qu’il ne sous-estimait pas la difficulté de son entreprise. Car cette bataille de l’automne n’a rien d’inédit, ni d’original. C’est la même histoire que la France se rejoue depuis un quart de siècle. A peine élu, Macron s’est trouvé confronté à la même équation que ses prédécesseurs : ce qu’on pourrait appeler la question française. Avec des nuances, chacun avec sa sensibilité, et dans des contextes politiques et économiques différents, tous ont fait peu ou prou, en privé ou en public, le même diagnostic : le «
modèle français » (sphère publique surdimensionnée et fiscalité en rapport, addiction à la dette, protection sociale très généreuse mais mal financée) n’est plus adapté à l’époque. Dans la compétition internationale, il faut être svelte, agile et manoeuvrant. D’où : réduire les frais généraux de la maison France, abaisser les impôts, alléger le coût du travail et les contraintes qui pèsent sur l’entreprise. Seulement voilà, une bonne partie des Français bloquent. Ou s’ils sont d’accord avec le diagnostic, ils récusent le traitement. Eloquent, le sondage Viavoice paru hier dans Libération. Par exemple : % des interrogés pensent que le Code du travail «aun
impact négatif sur l’emploi ». Pour la réforme, alors ? Oui… mais non. Pas celle-là. A % (contre %), ils sont opposés aux ordonnances Macron. Car pour eux, le Code actuel est non pas trop mais « pas assez protecteur ». La pédagogie du gouvernement a glissé comme sur les plumes d’un canard. La présidentielle n’est pas une ardoise magique. En mai-juin la France a changé de classe politique, elle n’a pas changé de peuple. Un peuple mécontent du statu quo et rétif aux réformes. Ouvert sur le monde et allergique à la mondialisation. Fragmenté et prompt à se réconcilier sur le dos du « pouvoir ». Tenté par les extrêmes et nostalgique d’une introuvable union nationale. Ce peuple, enfin, qui a renvoyé droite et gauche dos à dos et « dégagé » tour à tour Sarkozy et Hollande, l’ovni-ni Macron a réussi à le capter. Il lui reste à convaincre que lui peut réussir là où le volontarisme bravache de l’un, la prudence louvoyante de l’autre ont montré leurs limites. Le test, c’est maintenant.
« A peine élu, Macron s’est trouvé confronté à la même équation que ses prédécesseurs. »