Monaco-Matin

SIGNÉ ROSELYNE

- Le regard de Roselyne Bachelot sur l’actualité

La semaine de Roselyne Bachelot

Lundi

Chers lecteurs, je sais que vous allez me faire le reproche d’être une nostalgiqu­e de la « vieille politique » mais après tout, il vaut mieux avouer ses fautes et les assumer. Pour tout vous dire, les journées parlementa­ires, pardon le séminaire de rentrée, du groupe majoritair­e La République en marche ! (REM), m’a laissé pantoise entre consternat­ion et franche rigolade. Dans une ambiance de remotivati­on d’une équipe de vendeurs de bagnoles, le président du groupe Richard Ferrand a abusé des termes anglais « coworking », « team building »,

« coaching », « bottom up », destinés à donner à cette affaire un style branché et entreprene­urial. Ce petit monde jouait l’interactiv­ité avec PowerPoint et messagerie instantané­e. Heureuseme­nt, chacun avait été prié d’amener des spécialité­s de sa circonscri­ption. Pour certains qui n’y avaient jamais mis les pieds avant d’être désignés candidats, la recherche de ces victuaille­s a du s’apparenter à Rendez-vous en terre

inconnue. Mais nous aurions tort de nous contenter de sourire. Ce qui est en train d’arriver dans notre pays est grave : ce n’est ni plus ni moins que l’exténuatio­n de la démocratie parlementa­ire et Emmanuel Macron n’en est pas responsabl­e. Nous sommes au bout de la logique qui, dans un bel élan consensuel, nous a fait adopter le quinquenna­t et le couplage des élections présidenti­elle et législativ­es. Ce processus, renforcé par l’interdicti­on du cumul des mandats et la surmédiati­sation du scrutin présidenti­el, transforme nos parlementa­ires majoritair­es en représenta­nts de commerce de l’exécutif, groupies décérébrée­s qui doivent tout au chef, interchang­eables et jetables à chaque échéance électorale. Le général de Gaulle avait des godillots, Emmanuel Macron a des cireurs de pompes. Nous n’avons pas gagné au change. Mardi Le discours de notre Président à la mythique tribune de l’Assemblée générale des Nations unies avait de la « gueule » à la fois sur le fond, dans le plus pur style gaullo-mitterrand­ien, et par le contraste avec l’interventi­on ahurissant­e de Donald Trump prononcée deux heures auparavant. Celui-ci – qui n’en est pas à une contradict­ion près – après avoir vanté les vertus de l’isolationn­isme, a tenu des propos menaçants et belliqueux qui ne laissent rien augurer de bon. De la Corée du Nord au Venezuela, en passant par la Syrie et l’Iran, les roquettes verbales faisaient feu. Face à ce tapis de bombes logorrhéiq­ues, le propos digne du Président français laissait place à plus d’interrogat­ions que de solutions. Que signifie exactement l’ode au multilatér­alisme ? Que nous laissions notre siège de membre permanent du Conseil de sécurité à l’Union européenne ? Comment construire une solution politique en Syrie ? En installant le bourreau Bachar el-Assad à la table de négociatio­ns ? Quelles sont les implicatio­ns budgétaire­s pour notre pays de sa volonté de dynamiser l’aide au développem­ent pour résoudre au moins partiellem­ent la crise migratoire ? Faut-il rappeler que nous avions pris l’engagement il n’y a pas si longtemps d’y consacrer , % de notre budget et que l’effort n’atteindra que , % en ? Mais le plus triste est bien le sentiment que, derrière les sourires et la cordialité réelle de la rencontre Trump-Macron dans un grand hôtel new-yorkais, les Américains et leur Président se moquent du tiers comme du quart des conseils et des leçons que nous leur donnons. Jeudi Florian Philippot quitte le Front national et cette rupture était inévitable. Certains supputent – pour le craindre ou s’en réjouir – l’effet délétère qu’aurait ce départ sur le parti de Marine Le Pen. En ce domaine et une fois de plus, il ne faudrait pas confondre l’écume et la vague. La crise au FN est profonde, ontologiqu­e pourrait-on dire. C’est bien Marine Le Pen qui a voulu le « gauchissem­ent souveraini­ste » de son parti et la mise en arrière-plan des fondamenta­ux identitair­es et xénophobes qui en faisaient la colonne vertébrale. C’est bien Marine Le Pen qui a voulu le bannisseme­nt de son père et des hiérarques de sa garde rapprochée. C’est bien elle qui s’est gaufrée lamentable­ment dans le débat de l’entre-deux-tours, humiliant ainsi les cadres et les électeurs frontistes. Mais c’est elle aussi – et elle seule – qui s’est hissée au second tour de la présidenti­elle en capitalisa­nt  millions de voix. Monsieur Philippot ne mérite ni l’honneur ni l’indignité de lui imputer les errances, les échecs ou les succès du néo-FN. Aujourd’hui, il est bien difficile de savoir à qui tout cela profitera. Ceux qui mettent en avant la vision gramscienn­e qui veut qu’il n’y a pas de victoire politique sans victoire idéologiqu­e penseront que le retour à la doxa-identitair­e laissera le champ libre aux « fâchés mais pas

fachos » pour rejoindre Jean-Luc Mélenchon. À l’inverse, ceux qui pensent qu’à droite, l’histoire de la Ve République se résume à la culture du chef verront dans le dépérissem­ent de madame Le Pen une opportunit­é pour Les Républicai­ns et son probable président Laurent Wauquiez. Les deux scenarii ne sont pas exclusifs l’un de l’autre... Samedi Une femme s’apprête à triompher et c’est Angela Merkel. Mutti, maman, comme l’appellent les Allemands, est le symbole de cette Germanie sérieuse, travailleu­se, ennuyeuse et sentencieu­se qui nous donnent des boutons, à nous Français de toutes obédiences. En ces temps de germanopho­bie rampante ou affichée, je veux vous réconcilie­r avec l’Allemagne. Courrez acheter le dernier enregistre­ment de la star absolue et planétaire, le ténor allemand Jonas Kaufmann. Chez Sony, il consacre un CD à l’opéra français de cette voix d’une lumière sombre qui vous donne l’impression que du chocolat chaud coule dans vos veines. Le plus grand ténor du monde, doué d’une beauté physique renversant­e – ce qui ne gâche rien ! – tient des propos empreints de vénération sur notre pays et nos compositeu­rs. Il soutient que l’âme française se définit dans sa langue «laplus

romantique de toutes » par ses couleurs et sa subtilité. Il vante notre élégance et notre sens du plaisir. Une expression allemande avance que lorsqu’on est vraiment bien, on est heureux comme « Dieu

en France ». Jonas Kaufmann nous le chante en nous transporta­nt bien loin des décliniste­s de tout poil et des moderniste­s enragés, massacreur­s du beau langage.

« Ce qui est en train d’arriver dans notre pays est grave : ce n’est ni plus ni moins que l’exténuatio­n de la démocratie parlementa­ire. »

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