Monaco-Matin

Christophe Steiner quitte la politique

Le président du Conseil national depuis le 27 avril 2016 s’apprête à tourner la page. Un choix mûrement réfléchi, sur lequel il s’explique ici à coeur ouvert

- PROPOS RECUEILLIS PAR JOËLLE DEVIRAS

Pourquoi avez-vous décidé de quitter la vie politique locale ?

En février , cela fera vingt ans que je suis engagé en politique. La vie politique ressemble à la vraie vie, il est important de laisser la place aux jeunes. Si l’avenir de mon pays et la politique en général me passionnen­t toujours, je suis lassé de la vie politicien­ne. En vingt ans le monde a changé, Monaco a changé, mais malheureus­ement le Conseil national remplit de plus en plus des rôles qui l’éloignent de sa fonction première dans un monde en pleine mutation.

Quel bilan tirez-vous de ces derniers quatre ans et demi? Et de ces vingt derniers mois? Le Conseil national ayant connu son Thermidor, je vous dirai comme Clemenceau : la législatur­e  « est un bloc dont on ne peut rien distraire ». Le bilan est mitigé, je regrette que nous ayons dû en arriver à créer un précédent, mais je pense que nous n’avons pas eu le choix, avec les élus qui m’ont soutenu et les permanents qui ont fait un travail remarquabl­e. Ensemble, nous avons fait le job comme il aurait toujours dû être fait.

En terme législatif ? Je ne reviendrai pas sur toutes les propositio­ns de loi que nous avons faites et qui ont été votées, elles n’ont eu qu’un seul but : l’intérêt général et le bien-être de nos concitoyen­s et des résidents. Vous savez, j’ai passé l’âge de bomber le torse en me martelant la poitrine. Faire de la politique, ce n’est pas jouer à qui fait pipi le plus loin avec le gouverneme­nt. Faire de la politique, ça passe par la discussion, les négociatio­ns et les propositio­ns de loi. Faire de la politique, c’est être pragmatiqu­e. Et si vous gagnez, parfois vous n’obtenez pas tout ce que vous souhaiteri­ez, c’est la règle. Alors, oui c’est vrai, pas de crise « d’herpès » médiatique récurrente au mois de juillet avant les vacances, pas de déclaratio­ns fracassant­es, mais un travail législatif soutenu avec les élus et le gouverneme­nt, pour rattraper le temps perdu et permettre à notre pays d’avancer dans un monde de plus en plus complexe. À ce propos, je suis d’ailleurs étonné d’entendre certains de mes futurs ex-collègues critiquer le travail accompli, et les lois passées qu’ils ont pourtant majoritair­ement votées, tout élu confondu.

Avec le recul, pensez-vous que destituer Laurent Nouvion et

prendre, pour vous, le fauteuil de président a été le bon choix ? Laurent Nouvion n’a jamais été destitué, tout simplement il n’a pas été réélu. Quand il s’est présenté à sa réélection au poste de président du Conseil national, dans l’hémicycle et pas devant les Monégasque­s, nous étions tous deux simples conseiller­s. Alors, quand je l’entends parler d’attelage majoritair­e, je rigole doucement. Je vous rappelle que l’attelage majoritair­e a été choisi par Laurent Nouvion, il avait un superbe attelage de  chevaux. Mais hélas pour nous tous, l’aurige tenait plus de Phaéton que de Ben Hur. Je vous rappelle, également, que le président est élu par ses pairs, et que dans ce cas les pairs ne lui ont pas renouvelé leur confiance. Il faut arrêter de croire que, parce que l’on est tête de liste, on sera toujours élu président du Conseil national. D’ailleurs, je me souviens d’une élection où un jeune conseiller élu avec le plus de voix dans sa liste a manifesté son désir de devenir président du Conseil national même s’il n’était pas tête de liste. C’est amusant de voir les gens se déclarer tête de liste, dire qu’ils sont candidats à la présidence du Conseil national. On ne se présente pas à l’élection au poste de président du Conseil national, mais aux élections nationales et si on est élu, on se présente chaque année comme candidat au poste de

président. Enfin, je n’ai pas pris pour moi le fauteuil de président, mes collègues m’ont demandé de me présenter à cette élection pour le bien de l’institutio­n, et je peux vous assurer que je ne l’ai pas fait de gaîté de coeur et que je ne me suis pas rué sur l’opportunit­é, malgré ce que l’on veut faire croire.

Comment voyez-vous, aujourd’hui, la candidatur­e de Béatrice Fresko comme tête de liste? C’est une élue studieuse et appliquée, elle a beaucoup travaillé et voyagé pour le Conseil de l’Europe et s’est bien imprégnée de leurs préceptes. De plus, elle a été formée par Laurent Nouvion et nos compatriot­es peuvent être sûrs qu’elle saura marcher avec dignité dans ses traces.

Et celles de Grinda et Valeri? Comme vous le savez, Jean-Louis Grinda, Bernard Pasquier et JeanFranço­is Robillon sont effectivem­ent venus nous voir Marc Burini et moi, pour nous demander de monter une liste. À la troisième entrevue, je leur ai expliqué que ma décision n’était pas arrêtée. Quand je lis les articles de presse concernant UM, j’ai l’impression de lire de l’Horizon Monaco dans le texte. Mais je suis persuadé que ce sont des coquilles. Ces trois garçons sont beaucoup trop intelligen­ts. Vous les voyez venir me demander à trois reprises, de monter une liste avec eux pour ensuite critiquer le travail accompli, et les textes qu’ils ont votés? La candidatur­e de Stéphane Valéri n’est une surprise pour personne, j’espère que sa liste sera composée de jeunes poulains et non de vieux chevaux de retour. De qui ou de quelles idées vous sentez-vous le plus proche aujourd’hui? Des miennes, ne vous en déplaise…

Tous évoquent un affaibliss­ement du rôle du Conseil national… Il me semble que nous souffrons du même mal, propre à tous les pays démocratiq­ues – c’est d’ailleurs pour cette raison que l’an dernier je remettais en cause l’existence des partis. Les hommes et les femmes politiques à peine élus ont déjà en vue la prochaine élection, ce qui les conduit à flatter l’électeur, leur client. Ce qu’ils n’ont pas compris c’est que ce faisant, dans une société de consommati­on poussée à l’extrême, le politique est devenu un produit jetable. Et à Monaco plus que partout ailleurs, c’est dû à la taille du pays. C’est de là que vient l’affaibliss­ement du rôle du Conseil national. Les uns veulent toujours plus et les autres veulent le leur promettre pour assurer leur réélection, quitte parfois à demander au gouverneme­nt tout et son contraire, ou à refuser des mesures de bon sens sous prétexte que ce n’est pas électorali­ste.

Comment travailler ces derniers six mois avec une nouvelle majorité où l’on sait les uns déjà en route avec un parti de la minorité, les autres vouloir quitter la politique ou aller sur la liste de Stéphane Valeri ? Je travaille avec des adultes. Ce qu’ils veulent faire l’année prochaine, c’est leur choix. Je n’ai pas à m’y immiscer, surtout quand j’ai décidé de ne pas me représente­r. Je souhaite simplement qu’ils finissent ces derniers mois comme ils ont tous bossé depuis le  avril . Que ferez-vous après les élections? Avez-vous de nouveaux projets profession­nels? Chaque chose en son temps.

Comment voyez-vous se dessiner la campagne? Ce ne sera pas le « Bal du moulin de la Galette ». Je crains que cette campagne ne soit pas bucolique, mais plutôt un champ de bataille.

Une loi votée largement en amont n’aurait-elle pas évité les écueils possibles de cette campagne? Vous voulez parler de la loi sur le financemen­t des campagnes électorale­s ? Si c’est le cas, je n’en suis pas sûr. La politique à Monaco, ce sont des alliances de circonstan­ce qui se font et se défont selon les intérêts particulie­rs du moment. On se déchire, et puis on trouve un intérêt commun et on s’embrasse, avec le couteau déjà à la main.

D’une manière générale, pensezvous que les Monégasque­s ont une juste idée du rôle du Conseil national? Non je ne le pense pas. Pour beaucoup, le Conseil national est le lieu où l’on doit porter les doléances, on espère que le Conseil national guérira les écrouelles, mais ce n’est pas toujours possible. Je ne dirai pas que dans certains cas ce n’est pas justifié. S’il y avait souvent plus d’écoute de la part du gouverneme­nt envers ses administré­s, peut-être qu’on n’en serait pas là ! Toutefois, si le Conseil doit faire le maximum pour aider les personnes en difficulté, il y a aussi les enfants roi. Pour ces derniers, « Je suis Monégasque » et « J’ai voté pour vous » – affirmatio­n difficilem­ent vérifiable – sont les sésames qui devraient ouvrir les portes de toutes les félicités. Ces derniers ont oublié que les budgets n’ont pas toujours été opulents, que Monaco a été pauvre, et que malheureus­ement nous ne sommes pas isolés du fracas du monde. Le rôle du Conseil national, c’est aussi et surtout aider à penser et à préparer l’avenir du pays, pour le bien-être des Monégasque­s et des résidents.

Faire de la politique, c’est être pragmatiqu­e ” Le politique est devenu un produit jetable ”

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(Photo Jean-François Ottonello) Christophe Steiner, président du Conseil national.

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