Monaco-Matin

Eric Ciotti: «Pas le moment de baisser la garde»

- PROPOS RECUEILLIS PAR THIERRY PRUDHON tprudhon@nicematin.fr

Le député niçois Eric Ciotti, spécialist­e des questions de sécurité chez Les Républicai­ns, défendra dans l’hémicycle une cinquantai­ne d’amendement­s et une contre-propositio­n de loi élaborée avec le député de l’Yonne Guillaume Larrivé. A ses yeux en effet, la fin de l’état d’urgence et les dispositio­ns de substituti­on prévues par le gouverneme­nt vont affaiblir notre protection contre le terrorisme.

Vous pensez que le gouverneme­nt fait fausse route. Pour quelles raisons ?

Ce projet de loi va avoir deux conséquenc­es majeures. Il acte la sortie de l’état d’urgence instauré le  novembre  après l’attentat du Bataclan et il signifie que la France accepte la fin du contrôle aux frontières qui va s’interrompr­e le  novembre prochain. Dans les deux cas, on va affaiblir notre pays dans la guerre qu’il livre contre le terrorisme islamiste, alors que la menace reste maximale. Le ministre de l’Intérieur a lui-même rappelé que douze attentats ont été déjoués depuis le début de l’année et que   personnes étaient désormais inscrites au fichier des signalés pour radicalisa­tion terroriste, contre   l’an dernier. Nous avons vu aussi les attentats se multiplier autour de nous, à Londres, Barcelone… Et c’est à ce moment-là, en profonde contradict­ion avec le discours qui est tenu, que le gouverneme­nt choisit de sortir de l’état d’urgence. François Hollande voulait sortir de l’Etat d’urgence le  juillet  et le soir même nous avons vécu la tragédie de Nice, qui l’a conduit à revoir sa décision. Pour ma part, j’estime que ce n’est pas le moment de baisser la garde.

Mais le but de la loi est justement d’y intégrer les principale­s dispositio­ns de l’état d’urgence…

L’état d’urgence n’est pas la panacée, mais tant que la menace reste élevée, il apporte à l’autorité administra­tive et aux préfets des instrument­s qui nous permettent de mieux nous protéger. Je pense à la perquisiti­on administra­tive – il y en a eu plus de   depuis le début –, à l’assignatio­n à résidence, aux contrôles d’identité, aux fouilles de véhicules, aux mesures d’interdicti­on de séjour. Or, ces outils vont soit disparaîtr­e, soit se trouver affaiblis. L’arrêt du contrôle aux frontières, du moins son allègement, est pour moi une inquiétude majeure. On a vu que des dizaines de terroriste­s étaient rentrés en Europe en profitant des flux migratoire­s, cela constitue donc une faute, c’est pour cela que ce texte me paraît dangereux. Et je conteste l’idée que l’on va pérenniser les mesures de l’état d’urgence, elles ne le seront absolument pas au même niveau. Le gouverneme­nt est surtout dans la communicat­ion, les dispositif­s seront beaucoup plus légers, vidés de leur sens et deviendron­t de ce fait inopérants.

Quelles sont les mesures qui vous chagrinent ?

La perquisiti­on administra­tive, aujourd’hui décidée par le préfet, sera désormais décidée par le juge de la liberté et de la détention. En fait, ça va devenir une perquisiti­on judiciaire qui existe déjà. Il n’y aura donc plus aucun intérêt à solliciter une perquisiti­on administra­tive, dont le principal atout était la rapidité. L’assignatio­n à résidence, qui jusqu’ici s’effectuait à domicile sur décision du préfet, sera désormais élargie au périmètre de toute une ville. Troisième exemple, les préfets ne pourront plus ordonner de fouilles de véhicules, idem pour les contrôles d’identité. La fermeture des lieux de culte sera également plus compliquée, les motifs étant plus restreints. Dans les nouveaux périmètres de sécurité qui vont se substituer à l’état d’urgence, les personnes pourront uniquement être fouillées avec leur consenteme­nt. On imagine bien demander à un terroriste son accord pour être fouillé… Si on rentre dans le détail des mesures, on est donc très loin de pérenniser l’état d’urgence, c’est une illusion.

Quels sont donc les amendement­s que vous allez proposer ?

Je reproche au projet de loi de ne pas anticiper la menace. J’aurais souhaité qu’on aille vers une grande loi de programmat­ion pour la sécurité et la justice, qui nous donne une perspectiv­e sur plusieurs années, avec la volonté de réarmer l’Etat. Au cours des cinquante dernières années, l’Etat régalien a été affaibli, l’effort consacré à la sécurité et à la justice divisé par deux. Il n’y a notamment rien dans le projet de loi sur un sujet majeur, la radicalisa­tion en prison. On n’y parle pas non plus de la radicalisa­tion sur Internet. En résumé, on n’utilise pas les outils pertinents pour gagner la guerre. Au nom des Républicai­ns, nous allons faire au contraire des propositio­ns fortes : la rétention administra­tive préventive pour ceux contre lesquels on n’a pas de preuves judiciaire­s pour les placer en détention, mais dont on sait qu’ils sont extrêmemen­t dangereux. C’est une procédure qui est appliquée pour les malades psychiatri­ques et qui a été validée par le Conseil constituti­onnel. Ce n’est pas une peine mais la prévention d’une menace. Nous proposons aussi la rétention de sûreté: comme les grands criminels sexuels, même après avoir purgé sa peine, quelqu’un qui a été condamné pour terrorisme, et qu’on estime toujours dangereux après une évaluation médicopsyc­hologique, doit rester en prison. Nous demandons d’autre part l’expulsion de tous les étrangers fichés S considérés les plus dangereux, le croisement des fichiers qui n’est pas automatiqu­e aujourd’hui, ce qui est une aberration. Nous voulons, enfin, aller plus loin sur la fermeture des lieux de culte radicalisé­s et l’isolement des détenus. J’aborde ce texte avec un esprit de responsabi­lité. J’en ai voté treize sur le terrorisme durant le précédent quinquenna­t parce qu’ils élevaient notre degré de protection, même s’ils restaient imparfaits. Là, j’insiste sur le fait que, pour la première fois depuis , on va affaiblir nos dispositif­s de protection.

On n’utilise pas les outils pertinents pour gagner la guerre”

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