Pauvres France(s)
Entre le gouvernement et les collectivités locales, le torchon brûle. Le sujet ne fait pas l’ouverture du heures, car trop technique pour ameuter les populations. Mais il suffit de se promener à travers la France et de parler avec les maires, élus départementaux ou régionaux, quelle que soit leur étiquette, pour constater l’ampleur du malaise. La déroute de REM aux élections sénatoriales en donne la mesure. Toujours et partout les mêmes doléances : on ne nous respecte pas ; Paris ne nous fait pas confiance ; on nous traite comme des enfants, ou pire comme des parasites ; sous couvert de réduction des déficits, on est en train de nous tordre le cou. Emmanuel Macron avait promis un « pacte girondin » entre Paris et les territoires. Pour Carole Delga, présidente socialiste de l’Occitanie, il n’y a ni pacte, ni girondinisme, mais une politique « jacobine » faite d’« oukazes » et relevant d’un « centralisme effréné ». Réduction drastique des emplois aidés, baisse des dotations, autant de mesures édictées sans aucune concertation et qui ont été vécues par les élus locaux comme autant de vexations. La plus mal perçue étant peut-être (paradoxalement ?) la plus populaire : la suppression de la taxe d’habitation pour % des ménages – et sans doute à terme pour tous. Les contribuables adorent. Pardi ! Les maires, eux, regimbent. Car ils ne croient pas à la promesse que la perte de recettes sera compensée par l’État à l’euro près. Et comme le dit l’un d’eux, qui n’a rien d’un anti-macronien enragé, « l’impôt, voté et consenti, est le fondement de la démocratie locale. Que reste-t-il des libertés communales si je dois aller mendier à Bercy pour boucler les fins de mois ? » Édouard Philippe planchait hier devant l’Association des communautés de France. Conscient de l’acuité de la situation, et de son potentiel de nuisance politique – car l’opposition de droite a choisi de faire de la question des territoires un de ses angles d’attaque prioritaires – le Premier ministre s’est montré ferme sur l’objectif de maîtrise de la dépense publique, mais souple sur les moyens. « Nous allons essayer d’avoir une relation contractuelle plus intelligente entre les intercommunalités, les collectivités en général et l’État », a-t-il promis. Il serait temps d’essayer, en effet. Car au-delà des querelles de gros sous, ce qui est en jeu est essentiel et touche à deux plaies vives de la société française. La première, ancienne, mais qui s’est beaucoup aggravée à mesure que s’empilaient les réformes plus ou moins bien ficelées, c’est le sentiment largement – et légitimement – répandu en province que le pouvoir central, enfermé dans une vision technocratique du pays, ne comprend rien aux territoires. Qu’il rêve de mettre la France au carré et persiste à ne voir dans les instances locales que des survivances archaïques, des machins pléthoriques, inefficaces et coûteux, quand elles sont aussi une richesse et peut-être ce qui fait que la France, malgré tout, tient. La seconde, c’est le fossé qui ne cesse de se creuser entre le pays qui va bien et le pays qui va mal ; entre la France des métropoles à haut potentiel économique et technologique, et la France des villages désertés, des petites villes aux rideaux de fer baissés, cette France reléguée, « périphérique », qui voit dans la métropolisation non une chance, mais une menace : une machine qui va la dévorer. La nomination au gouvernement d’un ministre « de la cohésion des territoires » semblait montrer que ces doutes et ces angoisses avaient été entendus. Heureuse innovation, en effet. Et appellation prometteuse ! Il est d’autant plus regrettable que la formule ait quasiment été effacée du vocabulaire officiel. Et que le ministre en charge ait disparu des écrans radar. Jacques Mézard, vous connaissez ?
« Au-delà des querelles de gros sous, ce qui est en jeu est essentiel et touche à deux plaies vives de la société française. »