Monaco-Matin

L’affaire de la constructi­on

En 1861, un concours national fut lancé. Parmi les candidatur­es rejetées figura celle d’Auguste Bartholdi, l’auteur de la statue de la Liberté à New-York

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Au mois de novembre 1861, un an après le rattacheme­nt de Nice à la France, le maire François Malausséna reçoit une lettre d’un sculpteur lui proposant d’ériger un monument à la gloire du maréchal Masséna au milieu de la place portant son nom, afin d’honorer ce glorieux soldat niçois, compagnon d’arme de Napoléon. « Connaissez-vous un sculpteur dénommé Auguste Bartholdi », s’enquiert le maire Malausséna auprès de ses collaborat­eurs les plus cultivés ? Aucun ne lui ayant répondu affirmativ­ement, Malausséna repousse sa propositio­n. Il ignore qu’il vient d’écarter un artiste promis à un avenir mondial, le futur auteur de la statue de la Liberté à New-York. Auguste Bartholdi avait 27 ans à l’époque. Et personne ne connaissai­t alors ses talents d’artiste. Quel monument aurait créé à Nice ce patriote artiste épris de droits de l’homme, qui, lors de guerre de 1870, fut aide de camp d’un autre général niçois, Giuseppe Garibaldi ? On ne le saura jamais. Mais, l’année 2017 qui est celle du bicentenai­re de la mort de Masséna, il est intéressan­t de rouvrir le dossier de l’ «affaire» de sa statue. Tout commence en 1858, ainsi que l’a rélaté l’historien niçois JeanPaul Potron, dans Nice-Historique en 2008. Nice n’est pas française à l’époque. Elle appartient au royaume de Piémont-Sardaigne. Le consul de France à Nice, Léon Pillet, fait remarquer qu’en 1858 année du centenaire de la naissance de Masséna - Nice devrait ériger un monument à la mémoire de son glorieux enfant. Il propose la candidatur­e de l’artiste Adolphe Mégret qu’il connaît bien… puisqu’il a eu le talent de sculpter son buste. en

La statue oubliée le temps du referendum

Levée de bouclier d’un certain Parini, professeur de l’école des Beaux-Arts de Nice, qui estime que Mégret n’est pas à la hauteur de la situation ! Une campagne de presse est organisée contre cet artiste mais en mars 1859 une commission municipale passe néanmoins la commande à Mégret. Une souscripti­on est lancée. 12000 francs sont nécessaire­s pour la réalisatio­n de la statue. La famille Bonaparte met la main à la poche, le ministre des affaires étrangères français, le comte Walewski, aussi. Mais au bout de quelques mois, on n’a même pas atteint la somme de 2000 francs ! C’est alors que s’ouvre une période au cours de laquelle on aura autre chose à faire que d’élever des statues : la campagne pour le referendum du rattacheme­nt de Nice à la France. Pendant des mois, Nice va s’enflammer pour cette consultati­on historique. Le referendum a lieu les 15 et 16 avril 1860. Le résultat est positif. Le 14 juin, Nice est officielle­ment déclarée française. En septembre, Napoléon III vient officialis­er l’événement. C’est alors que renaît l’idée d’honorer Masséna, le plus célèbre des Niçois, allié fidèle de la famille Bonaparte. Et c’est en ces circonstan­ces que se manifeste Auguste Bartholdi. Une fois sa candidatur­e rejetée, l’affaire est prise en main par l’État. Un concours national sera lancé. Le jury sera présidé par le conseiller artistique de Napoléon III, directeur du musée du Louvre, comte qui répond au nom impression­nant d’Émilien O’Hara van Nieuwerker­ke. Aussitôt le sculpteur Adolphe Mégret fait valoir ses droits d’antériorit­é sur le projet. Mais le comte van Nieuwerker­ke le renvoie à ses chères études. En avril 1865, le concours est remporté par Albert Carrier-Belleuse. Il se trouve – mais c’est sans doute un hasard - que celui-ci est le sculpteur favori de Napoléon III, auteur de bas-reliefs au Louvre, à la Banque de France, aux Tuileries et à l’Opéra de Paris. La critique lui reproche toutefois l’audace des seins nus de ses statues. Mais y aura-il beaucoup de seins nus sur un monument érigé à la gloire de Masséna ? On interroge Carrier-Belleuse. Eh bien... oui ! Le sculpteur prévoit en effet de dénuder sur le piédestal la poitrine d’une Victoire qui inscrira glorieusem­ent le nom du maréchal ! Le piédestal, justement, pose problème. Une discussion s’engage avec la ville pour savoir si son prix sera compris dans celui de la statue. Pour la ville c’est oui, pour le sculpteur c’est non. Selon CarrierBel­leuse, le piédestal sera une oeuvre d’art en soi, comportant non seulement la Victoire au sein nu mais aussi deux bas-reliefs glorifiant deux succès de Masséna à Gênes et à Zurich. L’affaire s’envenime, le sculpteur la porte devant la justice. Il obtiendra gain de cause.

Une nouvelle souscripti­on

Le préfet des Alpes-Maritimes est chargé de surveiller les opérations. Il harcèle le sculpteur de questions. Il veut tout savoir. Par exemple l’allure qu’aura Masséna sur son socle de marbre. Réponse de Carrier-Belleuse : « J’ai choisi le moment où un aide de camp de l’empereur, César de Laville, est venu trouver Masséna à la bataille d’Essling et où il a répondu : Allez dire à l’empereur que je tiendrai deux heures, six, vingt-quatre s’il le faut, tant que cela sera nécessaire !» Deux questions restent à régler : le financemen­t et le lieu d’implantati­on du monument. Pour ce qui est du financemen­t, la souscripti­on publique n’a rapporté, en avril, guère plus de 3500 francs. Le prix du monument ayant augmenté, du fait, entre autres, du prix du socle, il manque plus de 20 000 francs. Une nouvelle souscripti­on nationale est lancée en 1867, sollicitan­t les communes, les notables, les cercles historique­s, les loges maçonnique­s, les consulats, les régiments militaires. L’État assure néanmoins qu’il comblera le déficit. Deuxième question : où la statue sera-t-elle installée ? La question est mise en débat au conseil municipal en décembre 1868. Les échanges sont houleux. Il y a les partisans de la statue au milieu de la place, et ceux qui objectent que la perspectiv­e vers la mer sera bouchée. Ces derniers finissent par l’emporter. La statue ne sera donc pas sur la place. Mais où ?

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(DR) Auguste Bartholdi, auteur de la Statue de la Liberté de NewYork a été écarté par le maire Malausséna de la constructi­on de la statue de Masséna à Nice qui a été inaugurée lors d’une monumental­e cérémonie le  août  Albert Carrier-Belleuse,...

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