Monaco-Matin

« Il parle comme eux, et non contre eux »

- MICHÈLE COTTA

C’était donc sa première interview télévisée devant des millions de téléspecta­teurs, d’autant plus attendue que le Président avait évité, y compris lors du jusqu’ici sacro-saint -juillet, de se livrer aux questions réponses des journalist­es. S’il s’est résolu à le faire, c’est qu’il avait au moins deux pièges à déjouer, donc deux objectifs à fixer et faire comprendre, pour jalonner son parcours présidenti­el. Il devait d’abord, et en effet, ce n’est pas secondaire, défendre son langage, ou plutôt ses écarts de langage : l’emploi des mots fainéants, cyniques, bordel – encore qu’ils figurent, y compris le dernier, dans le dictionnai­re de l’Académie française –, lui a donné, qu’il le veuille ou non, l’image d’un Président distant, voire méprisant, ne se rendant pas facilement compte des difficulté­s d’un certain nombre de Français. Emmanuel Macron, tendu pendant les premières minutes, puis progressiv­ement plus à l’aise, a défendu son discours, certes parfois vif, en formulant une critique des élites politiques plutôt que des français, ces élites, a-t-il dit, qui « se sont habituées depuis des années à ne pas dire les choses

». Sur ce point, aucun doute, une majorité des Français lui donnera raison, tant l’usage de la langue de bois ou l’art de l’esquive ont caractéris­é, depuis déjà longtemps le discours politique. Ce n’est pas un hasard si le ton d’Emmanuel Macron tout au long de son interventi­on a été volontaire­ment plus humble qu’on ne s’y attendait. Son objectif, montré qu’il est le Président de tous les Français, qu’il parle comme eux, et non contre eux. Le deuxième écueil à contourner était bien sûr plus difficile encore : Emmanuel Macron était aujourd’hui à la croisée des chemins. Il vient de faire passer, malgré des manifestat­ions syndicales, la réforme du code du travail par ordonnance­s. Il a imposé sa conception de la flexibilit­é de l’emploi, sans lequel pour lui, le chômage n’aura pas de fin. Le budget que vient de soumettre le Premier ministre à l’Assemblée nationale envisage un certain nombre d’économies qui alarment certains, et enfin, le flottement sur l’ISF réservé aux seules valeurs mobilières en a ému plus d’un. C’était pour lui le moment de montrer qu’il n’est pas le Président des riches, mais que son but est, au contraire, loin de faire fuir les fortunes ailleurs, de les faire participer en France à l’investisse­ment créateur d’emplois. Pari risqué peut-être, critiqué par la gauche, brocardé par la droite, mais c’est en tout cas le sien. Dans la partie qui s’ouvre de son quinquenna­t, Emmanuel Macron parlera donc davantage de sécurité de l’emploi que de sa flexibilit­é. Bref, au moment où l’on se disait que son quinquenna­t penchait à droite, il devait impérative­ment démontrer que, comme il l’a dit pendant sa campagne électorale, il ne serait ni de gauche ni de droite, mais pragmatiqu­e. Combien de temps se donne-t-il pour obtenir des résultats ? Un an et demi, deux ans, pas moins, mais pas plus. Pour transforme­r la société française comme il le veut, il lui faudra sans doute plus de temps, le quinquenna­t tout entier peut-être. Aura-t-il convaincu ? Il aura en tout cas replacé son action dans le temps pour répondre à l’impatience des Français.

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