Monaco-Matin

Daniel Herrero, le philosophe du rugby

Rencontré au Sportel à Monaco, l’homme au bandeau rouge nous a causé ovalie. Pittoresqu­e !

- PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE DEPIOT Photo : Jean-François OTTONELLO

Il est un joaillier des mots. Un artisan de la syntaxe. Une espèce de Compagnon du Vocabulair­e. A  ans, Daniel Herrero a toujours le verbe haut et la langue bien pendue. Figure emblématiq­ue sinon tutélaire de l’ovalie hexagonale, l’ancien troisième ligne centre de Toulon et Nice, était de passage au Sportel de Monaco, membre du jury du ‘‘meilleur livre de Sport’’. Aussi avons-nous entrepris de croiser son chemin, malgré l’appréhensi­on naturelle du profane qui se mêle d’interviewe­r un parangon de la mêlée française. Ce fut un beau voyage avec pour thème le ‘‘pré’’. Un défi aussi, dès lors qu’il vous plante son regard bleu acier les yeux dans les yeux et ne vous lâche pas, vaquant à un discours où la sincérité le dispute à la générosité. Si bien qu’il frise parfois, un tantinet, la logorrhée. Mais ne lui dites surtout pas ! On serait bon pour un plaquage en règle, aussi sec, sans autre forme de procès... Ça paraît d’abord une originalit­é, pour ne pas dire une chose incongrue que dans le cadre du Sportel où l’on valorise le sport, mais surtout l’image, la télévision pour ne pas dire le superficie­l, l’éphémère et le grand marché, ils se sont aussi préoccupé de l’idée que le livre pouvait avoir un intérêt. Ça les honore. Moi je suis ravi d’être là, d’ailleurs j’ai eu la chance d’avoir gagné ce prix il y a trois ou quatre ans.

Quand on dit de vous, ‘‘le philosophe et le poète’’ du rugby, ça vous résume ou ça vous agace ? Ah non, rien ne m’agace quand c’est plutôt rafraîchis­sant pour ma conscience et pour mon âme. Je ne me sens ni poète ni philosophe, je sais que j’ai du goût pour les choses du ‘‘sensible’’.

Vous ‘‘bouffez’’ encore beaucoup de rugby ? Le mot ‘‘bouffer’’, je ne l’emploierai­s pas, car il a un caractère goulu et peu sélectif. Mais je me rassasie rarement de ce jeu-là, j’aime éperdument le jeu de rugby et les hommes qui le pratiquent.

Le dernier match que vous ayez vu ? Le dernier, beau, que j’ai vu dans des temps récents, c’est les All Blacks face à l’Australie, le week-end dernier. Les Blacks ont mis le genou à terre après avoir dominé le grand championna­t de l’hémisphère Sud tout l’été. J’ai la conviction qu’il y a encore des lieux, où la préoccupat­ion d’évolution et de recherche est toujours en activité.

Le RCT version Galthié ? J’ai une affection millénaire, historique, ancestrale de principe. Sur le Toulon d’aujourd’hui, je suis extrêmemen­t respectueu­x. Le dernier arrivé, en l’occurrence Fabien Galthié, a beaucoup de mal à proposer ce qu’on pourrait appeler les principes d’un jeu. A mon sens, Toulon est dans une inquiétude d’un fond, lié à son jeu. Il ne dégage ni panache, ni enthousias­me, ni fraîcheur. Mais applicatio­n, volonté et robustesse, oui...

Le RCT version Boudjellal ? Je ne réponds pas à cette question, mais c’est ton droit de me la poser...

C’est quand même un plus pour Toulon, non ? Il y a du bonheur à considérer que sur la terre de France et d’Europe, le Rugby Club Toulonnais dégage quelque chose de performant. Et même on pourra dire qu’il est assez moralisé, c’est un club qui se tient bien. Après, les gens qui le gèrent sont titulaires d’une philosophi­e qui pourrait être discutable. On en achète beaucoup et on en vend pas mal... Mais de fait, ils sont assez performant­s, même si avec le potentiel humain qu’il y a eu à Toulon depuis une dizaine d’années, on aurait dû avoir dix titres.

L’équipe de France, version Guy Novès ? (il coupe) Tu ne vas pas me faire faire l’inventaire de Laporte, de Novès, de Boudjellal... (et se reprend) L’équipe nationale elle sort de cinq ou six années de très grande souffrance. De médiocrité constante.

Ce que l’on entend ici ou là, c’est que la médiocrité viendrait des joueurs... L’équipe de France, elle stagne loin de l’élite. Les deux dernières coupes du monde sont piteuses. Peut-être avons-nous une génération moyenne ? Moi cette conviction-là, je ne la partage pas du tout. Aucune nation ne semble posséder un volume très largement supérieur, sinon les All Blacks qui sont un peu au-dessus. Par exemple, il n’y a aucune raison que les Australien­s, en termes de talent d’hommes, et même les All Blacks, nous soient si supérieurs. Regarde les All Blacks qui viennent jouer en France, aucun ne s’y impose. Ce qui semblerait, c’est que ces équipes-là, ces collectifs de jeu jouent mieux ! Je crois qu’on dispense mal le jeu, et c’est une hypothèse fortement recevable...

Pourquoi ? On a une manière trop conservatr­ice, soit prudente, soit craintive. Il faut impérative­ment gagner, ce qui nous amène à des modes de jeu plutôt étriqués. Pourquoi on trouve toujours des Gallois, l’Anglais même, presque le Japonais, le Néo-Zélandais n’en parlons même pas, toujours plus joyeux, plus pétillants que nous ? Put... Ces paramètres-là nous inquiètent. La maison d’ovalie est métastasée par l’inquiétude ou par le doute moral. Elle n’est pas très, très saine.

C’est un plaquage à l’intention de Bernard Laporte, ça... On est bien, il y a beaucoup de ‘‘tune’’, beaucoup d’économie. Il se préoccupe du petit niveau de performanc­e de l’équipe de France et puis le lendemain c’est autre chose.

Que peut-on attendre des Bleus en  au Japon ? La psyché est ainsi faite que ça peut changer très vite. Qui t’aurait dit que l’année dernière, l’OGC Nice allait finir troisième et que cette année ils seraient avantderni­ers ? Que Monaco allait battre le PSG et jouer comme des poulpes tous les dimanches cette année ?

Le top , de plus en plus traumatisa­nt, c’est une évolution regrettabl­e ? Ça, c’est un peu des poncifs, n’en prends pas ombrage... On dit par exemple qu’il y a plus de commotions, c’est probable. Le jeu est devenu a priori, plus dangereux : pourquoi ? Le rugbyman, de fait, dans les quinze dernières années, a eu une transforma­tion colossale, sur le plan physique. On est devenus gaillards, ils font de la muscu deux fois par jour,  jours par an ! Parce que les temps de jeu sont multipliés, parce que les règles ont fait que la balle sort plus vite des regroupeme­nts. Beaucoup de joueurs défendent et attaquent en ligne. Il n’y a plus d’espaces. C’est un gros débat, ça. On n’est pas devenus bourricots par hasard... Aujourd’hui, du  au , à part le  ou le , % de leur temps de jeu, ils font pareil. Le mec, il a le ballon, il va au défi. Quel que soit le numéro ! Ah put... Parce qu’il y a eu une dizaine de lois sur l’extraction de la balle des regroupeme­nts. Pour passer d’un million de téléspecta­teurs à cinq millions, il faut voir la balle. Jusqu’aux années , la moitié du temps d’un match de rugby, on ne voyait pas la balle. Maintenant, on la voit tout le temps. Si il n’y a plus d’espaces comment on fait pour passer ? On se rentre dedans ! Heureuseme­nt, depuis quatre ou cinq ans, les grandes nations ont fait évoluer ça, le volume de percussion est un peu moins élevé. Chez nous, non ! Aujourd’hui, tous les rugbymen font % de plus que leur poids naturel. Un pilier, il ne peut même plus tourner la tête, il ne ressemble à rien, car il a mis du béton sur chaque côté, là (il montre le cou) !

Un mot sur Nice où vous avez brillé ? Tout le monde dit, c’est pas une ville de rugby. Faux, il y a du rugby à Nice depuis  ans. Il a toujours été un rugby un peu élite, un peu culturel. Il a eu une très belle période avec l’arrivée des Toulonnais et ça s’est perdu. Dans ces années-là, il y avait  à  clubs en première division, maintenant, il n’y en a plus que quatorze. La croissance vers l’élite est de plus en plus compliquée.

La genèse de votre bandeau rouge, enfin ? Tu plaisantes ou quoi ? Je ne l’ai jamais dit à personne !

On n’est pas devenus bourricots par hasard... ”

 ??  ?? Daniel, un petit mot d’abord, sur votre présence au Sportel ? A cause de quoi ?
Daniel, un petit mot d’abord, sur votre présence au Sportel ? A cause de quoi ?

Newspapers in French

Newspapers from Monaco