Monaco-Matin

B. Cazeneuve : une certaine idée de la morale politique

Dans Chaque jour compte, le plus éphémère Premier ministre de la Ve République revient sur ses cinq mois à Matignon. Il égratigne surtout un personnel politique dévoré par les ambitions

- THIERRY PRUDHON tprudhon@nicematin.fr

Premier ministre du 6 décembre 2016 au 10 mai 2017, ministre de l’Intérieur de 2014 à 2016 après l’avoir été du Budget et des Affaires européenne­s au début du quinquenna­t Hollande, Bernard Cazeneuve a (provisoire­ment?) pris de la distance avec la vie politique. L’ancien maire de Cherbourg, âgé de 54 ans à peine, ne s’est même pas représenté aux législativ­es, préférant reprendre une carrière d’avocat au sein du cabinet d’affaires parisien August Debouzy. Il raconte son bref passage de cent cinquante jours à Matignon, le plus éphémère de la Ve République, dans Chaque jour compte Lui, assure-t-il, n’était pas demandeur, contrairem­ent aux Le Foll, Touraine ou Vallaud-Belkacem... Ce récit d’une mission de fin de règne, toutes perspectiv­es en berne, dominée par la lutte contre la menace terroriste, lui donne surtout l’occasion d’exposer sa conception d’une morale publique trop souvent chahutée à son goût. A parcourir ces pages compilées au jour le jour, on comprend vite pourquoi Bernard Cazeneuve s’est, pour l’instant, éloigné de l’arène politique. S’il se méfie visiblemen­t des journalist­es, il n’apprécie pas davantage ses congénères de tous bords. Il les éreinte volontiers, dénonçant «la soif d’exister de ces egotiques » qui en oublient toute loyauté ou colonne vertébrale idéologiqu­e.

Le bal des egotiques

« Le goût de la tactique, écritil, au service d’objectifs dérisoires, finit par priver les grandes organisati­ons politiques de l’élan collectif qui fait les grands desseins. Et il ne demeure plus alors en leur sein que quelques ambitieux dépourvus de grandes ambitions, comme aimait à le dire Alexis de Tocquevill­e. » Les frondeurs et Mélenchon en particulie­r, «un pur populiste », en prennent pour leur grade, eux qui ont largement

pourri à ses yeux le quinquenna­t de François Hollande. Et Emmanuel Macron aussi, bien évidemment. Bernard Cazeneuve ne le déteste point et évoque même leur complicité et leurs fous rires en début de mandat. Mais il n’a pas digéré son cavalier seul. « Sur les cinq années du quinquenna­t, il a été en responsabi­lité pendant plus de quatre ans. Ce qui caractéris­e la transgress­ion, c’est qu’elle autorise tout, notamment ce qui est inconcevab­le », égratigne cet amoureux des Tontons flingueurs, parodiant Michel Audiard. Il se gausse également d’une prétendue modernité qui a recours aux plus vieilles ficelles et de ces « recyclés-recalés de la vie politique, passés par tous les partis, qui ont enfin trouvé celui qui allait les faire élire ». Bernard Cazeneuve n’a pas avalé, non plus, les polémiques qui ont suivi l’attentat de Nice et en garde une dent contre Christian Estrosi. Il salue, en revanche, le sens de l’État d’un Alain Juppé, dont il se voit à l’évidence comme l’alter ego de gauche.

Hollande épargné

On regrettera que la lucidité de Bernard Cazeneuve ne s’applique pas aussi pleinement à François Hollande. Sa fidélité assumée lui fait passer très vite sur les errements du quinquenna­t, de manque de fermeté en précipitat­ion sur certains dossiers comme la loi Travail. Les frondeurs, quelle qu’ait été «la juvénilité» qu’il leur reproche, ne sauraient être comptables de tous les maux… L’ancien Premier ministre martèle en tout cas une certitude : pour lui, le clivage gauche - droite a encore un sens. Sa préférence va plus volontiers à des coalitions à la mode allemande qu’à un centre attrape-tout diluant les identités. Bernard Cazeneuve, malgré le regard distancié et amer qu’il pose sur elle, n’en a donc probableme­nt pas fini avec la politique. « Dans le travail de refondatio­n de la gauche de gouverneme­nt qui se présente à nous et qui appelle une ambition et une démarche collective­s, conclut-il, chacun devra prendre sa place. Je prendrai la mienne… » Et il se murmure avec de plus en plus d’insistance que François Hollande aimerait bien voir son ami prendre les rênes du PS. A suivre… 1. Éditions Stock, 390 pages, 19,50 euros.

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(Photo Franz Chavaroche) Bernard Cazeneuve, futur ex-retraité de la politique ?

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