Monaco-Matin

Pourquoi les sargasses prolifèren­t autant aux Antilles

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Sur le Yersin depuis vingt et un jours et en Martinique depuis trois jours aux côtés de sept autres scientifiq­ues, Sandrine Ruitton, maître de conférence­s à l’Université d’Aix-Marseille, rattachée au laboratoir­e MIO (Institut méditerran­éen d’océanologi­e), analyse les sargasses. Ces algues, de plus en plus prolifique­s, présentes en mer entre le Cap-Vert et les Antilles, sont le cauchemar des habitants des zones côtières. Sandrine Ruitton dresse un tableau de la situation.

Depuis combien de temps êtes-vous sur le Yersin ? Nous sommes partis du Cap-Vert il y a trois semaines. Nous avons navigué au sud pour longer les côtes de l’Afrique puis avons traversé l’Atlantique. Nous étudions les radeaux de sargasses flottantes. Le but de l’« Expédition transatlan­tique », avec le Yersin, est de réaliser un échantillo­nnage depuis l’Afrique jusqu’en Martinique car ces algues brunes flottantes sont présentes sur tout l’Atlantique nord tropical ; même au milieu de l’Atlantique.

Au milieu de l’océan ? Oui. Nous avions des images satellites qui font des relevés photograph­iques et qui nous avaient permis de voir la présence de chlorophyl­le. Nous savions donc que nous avions de forte chance de trouver des sargasses.

Et il y en a beaucoup en Martinique ? À l’heure actuelle, pas énormément en raison des récents ouragans qui ont disloqué les radeaux de sargasses sur le côté caraïbe notamment. Mais nous en avons trouvé à  km des côtes.

En quoi ces algues posentelle­s problème ? Sur les côtes, elles s’échouent sur les plages. Là, elles fermentent et produisent de l’hydrogène sulfuré. L’odeur est nauséabond­e. Comme les algues vertes en Bretagne, c’est un gaz toxique quand on le respire. Il peut même être mortel lorsqu’il est inhalé en grande quantité. De plus, la population n’a pas accès aux plages car, outre la barrière physique, beaucoup d’organismes fixés sur les sargasses possèdent des substances urticantes. Enfin, l’hydrogène sulfuré a un pouvoir corrosif qui entraîne une dégradatio­n de tous les appareils électroniq­ues sur un rayon de  ou  km. Les population­s perdent ainsi leurs électromén­agers.

Et en mer, quels dégâts ? Quand ces radeaux de sargasses touchent les récifs coralliens, ils peuvent provoquer une dégradatio­n de ces habitats marins.

Mais d’où vient cette proliférat­ion d’algues ? L’objet de nos recherches est d’essayer de comprendre pourquoi elles prolifèren­t de façon abondante depuis . Une de nos hypothèses est qu’elles se développen­t au large de l’Amazonie. Là, l’eau de mer est enrichie en

nutriments ; nutriments qui viennent de l’agricultur­e en forte augmentati­on, en lien avec la déforestat­ion. Le réchauffem­ent climatique est aussi un facteur de développem­ent. Les sargasses dérivent ainsi au gré des courants en Atlantique et aux Caraïbes.

Comment lutter ? Ça va être très compliqué. Le moyen le plus efficace serait de créer des moyens de prévision d’arrivée de bancs de sargasses. Ça existe déjà mais il faut améliorer ou au moins continuer de manière active. Par ailleurs, il faut trouver des moyens pour les ôter sur les plages. Les administra­tions françaises y travaillen­t déjà. À l’heure actuelle, on entrepose les algues sur des terrains libres et accessible­s. On les étale et on les fait sécher pour éviter la fermentati­on. Elles peuvent ensuite être partiellem­ent utilisées comme compost.

Mais celles qui sont en mer ? Elles accumulent de l’arsenic qui peut contaminer les sols. Elles ne peuvent pas être utilisées tel quel. Une partie est donc incinérée.

Ces algues ont-elles au moins une vertu ? On a étudié les écosystème­s de ces radeaux de sargasses. Quand ces radeaux sont en plein océan, ce sont de véritables oasis de vie. Ils sont alors des dispositif­s de concentrat­ion de poissons ce qui a un intérêt pour la pêche et les ressources marines. Ils servent aussi de nursery pour les poissons, les crustacés, les tortues également. Il ne faut donc pas diaboliser.

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(Photo Monaco Exploratio­ns / Borde) Les radeaux de sargasses : des oasis en pleine mer.
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(DR) La scientifiq­ue Sandrine Ruitton.

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