Monaco-Matin

Juncker : « Il est absurde d’avoir en Europe 178 systèmes d’armes différents »

Après son discours sur l’état de l’Union, le président de la Commission européenne veut démontrer que l’Europe protège contre les cyber-attaques ou le chômage et organise sa Défense

- PROPOS RECUEILLIS PAR RÉGINE MEUNIER rmeunier@nicematin.fr

Il y a un peu plus d’un mois, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, prononçait son discours sur l’état de l’Union : « Une stratégie réaliste de ce que nous pouvons accomplir d’ici 2025 », explique-t-il à Nice-Matin. Une stratégie qui affiche une volonté de rendre plus concrète cette Europe qui dérape, quand certaines régions réclament plus d’autonomie. Mais « c’est une offre qui doit maintenant trouver un écho dans les États membres. In fine, ce sont les citoyens qui auront le dernier mot, lors des élections européenne­s en 2019. Ils devront s’exprimer sur leur propre futur en choisissan­t entre des programmes pour l’avenir de l’Europe que les différents partis politiques leur proposeron­t ». Avant de partir en Guyane, avec Emmanuel Macron, pour la Conférence des présidents des Régions Ultrapérip­hériques (RUP) - territoire­s de l’Union européenne situés en dehors du continent européen – il a affirmé que le président français et lui étaient sur la même longueur d’onde.

Sur quoi êtes-vous d’accord avec Emmanuel Macron ?

Sur presque tout ! Nous partageons les mêmes conviction­s européenne­s. Emmanuel était d’ailleurs la première personne que j’ai rencontrée quand j’ai été élu président de la Commission, avant même de prendre mes fonctions. Il est, tout comme moi, un Européen convaincu et nous travaillon­s de concert sur l’avancement du projet européen.

Une Europe de la Défense, c’est quoi selon vous ?

Pour emprunter l’expression du président Macron, c’est une question de « souveraine­té européenne ». L’Europe doit prendre soin de sa propre Défense. Cela ne veut pas dire créer une armée européenne, mais coopérer plus et mieux. Notre approche actuelle est trop morcelée, elle nous coûte cher financière­ment et aussi en termes d’efficacité opérationn­elle. Il est absurde d’avoir en Europe  systèmes d’armes différents, alors que les États-Unis n’en ont que . C’est pourquoi ma Commission a décidé de mettre en place un Fonds européen de la Défense pour financer la recherche et pour faciliter des achats en commun de matériels. Je crois aussi que nous devrions faire un meilleur usage de ce que nous appelons la Coopératio­n structurée permanente, qui permet aux États membres qui le souhaitent d’aller plus loin ensemble en matière de Défense européenne.

L’agence européenne de cybersécur­ité sera-t-elle une cyber-armée ?

Non, ce ne sera pas une cyberarmée européenne, mais une structure européenne permanente, qui aidera les États membres à mieux coordonner leurs moyens pour mieux lutter ensemble contre une menace qui ne cesse de s’étendre et ne connaît pas de frontières.

Certains sujets européens fâchent les Français, comme les travailleu­rs détachés. Quelle est votre position ?

Les travailleu­rs doivent gagner le même salaire pour un même travail effectué en un même lieu – j’ai toujours défendu ce principe. Et c’est pour cela que j’ai proposé, dès ma prise de fonction en , de réviser les règles sur les travailleu­rs détachés. Que les États membres aient cette semaine endossé la propositio­n de réforme de ma Commission, c’est la preuve qu’en Europe, nous sommes capables de nous réunir autour de la table, de dialoguer et de parvenir à un accord équitable et équilibré – même sur les sujets « qui fâchent » comme vous dites. Une autorité commune du travail nous aidera à veiller au respect des règles comme celle-ci.

Où en est la propositio­n de ne pas vendre un port ou un aéroport sans discussion préalable pour protéger les intérêts stratégiqu­es de l’Europe ?

L’Europe est et doit rester ouverte au monde et aux opportunit­és et prospérité que le commerce offre. Nous devons résister au protection­nisme parce qu’il ne protège pas. Mais en même temps, nous ne pouvons pas être des partisans naïfs du libreéchan­ge. L’Europe doit toujours défendre ses intérêts stratégiqu­es. Nos propositio­ns pour adapter nos instrument­s de défense commercial­e aux nouvelles réalités que sont la surcapacit­é et la mutation du cadre juridique internatio­nal ont constitué un premier pas. Le nouveau cadre européen pour le filtrage des investisse­ments viendra renforcer notre arsenal. Il s’assurera que les investisse­ments directs étrangers ne portent pas atteinte aux intérêts stratégiqu­es de l’Union lorsqu’il est question de sécurité et d’ordre public.

L’Europe financera-t-elle réellement un jour les moyens de lutte contre les feux de forêts ?

Nous le faisons déjà à travers notre mécanisme européen de protection civile qui coordonne les moyens mis à dispositio­n des pays. Ainsi cet été, lorsque de terribles incendies ont ravagé le sud-est de la France et la Corse, un avion Canadair italien a été mobilisé par l’intermédia­ire du mécanisme de protection civile. Et au début du mois de juillet, c’est la France qui avait aidé l’Italie à lutter contre les incendies de forêts. La Commission va bientôt présenter ses propositio­ns pour renforcer ce mécanisme et pouvoir réagir plus rapidement et plus efficaceme­nt lorsque de tels drames surviennen­t.

Après la Catalogne, la Lombardie et la Vénétie veulent plus d’autonomie. Pourquoi ?

Concernant la Catalogne, l’État de droit est précieux en Europe et nous devons le protéger. Nous devons respecter les Constituti­ons de nos États membres, ainsi que les jugements de la Cour Constituti­onnelle espagnole et l’opinion du Parlement espagnol. Pour moi, il s’agit d’une question légale, politique, mais avant tout humaine. Cette volonté d’avoir une identité propre est un réflexe compréhens­ible. L’heure n’est pas à la division, mais au rassemblem­ent, toujours dans le respect de l’ordre constituti­onnel.

Quand les peuples vivent bien, ils vivent mieux ensemble ! L’instabilit­é économique fissure-t-elle l’Europe ?

Oui, quand les peuples vivent bien, ils vivent mieux ensemble. Et c’est sur cette idée que s’est bâtie l’Union européenne : la poursuite d’objectifs économique­s partagés pour garantir plus de prospérité pour tous. Et notre politique économique doit être aussi une politique sociale. Nous avons su créer en Europe, depuis le début du mandat de cette Commission,  millions d’emplois. Le taux d’emploi en Europe est plus élevé qu’il ne le fut jamais. Nous avons  millions d’Européens qui sont au travail. Cela ne veut pas dire que tout va bien, mais que les choses s’améliorent. Et on voit bien qu’il y a un regain de confiance dans l’Europe.

Le Royaume-Uni peut-il encore renoncer au Brexit ?

Je pense que ceci n’est plus très probable. Je regrette beaucoup que le Royaume-Uni quitte l’Union européenne, cela m’attriste même, mais nous devons respecter la volonté du peuple britanniqu­e. Nous allons négocier un accord équitable pour la sortie du Royaume-Uni. Parce que les Britanniqu­es, évidemment, restent des Européens, ils quittent l’Union européenne mais ils ne quittent pas l’Europe. Mais nous n’allons pas y consacrer toute notre énergie et notre temps non plus. Parce que le futur de l’Europe, ce n’est pas le Brexit. Le futur de l’Europe est à . J’ai de grands espoirs pour cette Europe et je travaille ardemment à les réaliser, aux côtés des États membres comme la France.

Vous souhaitez que le ministre de l’Économie et des Finances de la zone Euro soit aussi le président de l’Eurogroupe. Pierre Moscovici sera-t-il le premier ?

Pierre Moscovici est un excellent commissair­e européen en charge de l’Économie et des Finances, mais ne précipiton­s pas le cours des événements et procédons par ordre. Nous n’en sommes pas encore à . Nous sommes toujours en  et pour l’instant, il ne s’agit pas d’une question de personne, mais de se mettre d’accord sur l’approfondi­ssement de l’Union économique et monétaire. Le  décembre prochain, ma Commission présentera les propositio­ns que j’ai annoncées dans mon discours sur l’état de l’Union, y compris la création d’une fonction de ministre européen de l’Économie et des Finances et la mise en place d’un fonds monétaire européen. Puis, nous aurons l’occasion d’en débattre quelques jours plus tard avec tous les dirigeants des États membres, à l’occasion d’un Sommet Euro. Et nous verrons alors ce sur quoi nous pouvons nous mettre d’accord pour .

Avec Emmanuel Macron, nous sommes d’accord sur presque tout. ” ‘‘ Le taux d’emploi en Europe est plus élevé qu’il ne le fut jamais. ”

Les migrants réguliers ou pas, est-ce une cause perdue ?

Non, il n’y a jamais de cause perdue quand on ne renonce pas à affronter les difficulté­s. Nous avons bien progressé dans la mise en place d’une véritable politique européenne de migration. Nous avons mené une politique migratoire humaine et solidaire, tout en renforçant la protection de nos frontières. Et c’est le meilleur démenti que nous pouvons apporter aux populistes qui jouent sur les inquiétude­s, voire les peurs que provoque l’arrivée de nombreux migrants. Et nous devons faire barrage au racisme, à la xénophobie et au rejet de l’autre. Il en va de l’honneur et de la crédibilit­é de l’Europe.

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(Photo AFP)

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