Monaco-Matin

INTERVIEW « A cause du MMA, aujourd’hui en boxe, on est dans la baston »

Passée par le Sportel à Monaco, Sarah Ourahmoune, vice-championne olympique à Rio, est revenue sur son épopée. Elle travaille désormais dans l’équipe de Paris-2024

- PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE DEPIOT Photos : Jean-François OTTONELLO

Ça s’est fait par hasard. Je n’aurais jamais imaginé, enfant, monter un jour sur un ring et faire les Jeux. J’avais envie en tout cas, de faire des sports de combat. Je suis d’abord allée vers le taekwondo, qui me plaisait. Suite à un déménageme­nt à Aubervilli­ers, alors que je cherchais un club de taekwondo qui en fait avait brûlé, il y avait une salle de boxe à côté.

Ça a été le déclic ? J’y suis rentrée par curiosité en fait. J’ai quand même fait un cours d’essai et c’est parti comme ça. J’ai adoré l’ambiance de la salle, la musique, c’était très ludique, on apprenait à toucher sans se faire toucher, trouver les failles chez son adversaire.

Votre premier combat ? En , les femmes ont eu le droit de boxer en France. J’ai fait mon premier combat et je dois dire que ça a été une révélation !

Philosophi­quement, Sarah, quel intérêt d’aller frapper son prochain ? Qui plus est pour une femme ? (rires) On peut penser qu’on boxe pour frapper l’autre, mais quand on est sur le ring, on n’a pas cet état d’esprit là. On n’a pas de haine, de colère, on n’a pas forcément envie de lui faire mal. On est plutôt dans la recherche d’une stratégie, en essayant de se placer et faire des gestes pour inciter l’autre à réagir et quelque part, à le maîtriser. On compare souvent la boxe à l’escrime des poings et c’est vrai. C’est comme un jeu d’échecs avec un aspect mental très, très fort.

Parmi vos  combats, vous souvenez-vous d’un coup justement, qui vous ait fait très, très mal ? J’en ai pris des coups, forcément. Mais quand on est dans le combat, on est tellement concentré qu’on ne les ressent pas trop. C’est plutôt le lendemain que ça fait mal, qu’on a quelques bleus dans les bras et dans l’épaule... On perçoit très rapidement, dès les premières secondes sur le ring, si ça va frapper vite, fort. On a cinq secondes pour jauger.

Vous n’avez combattu qu’en amateurs. Il n’y a jamais eu l’envie de passer pro, comme Myriam Non, jamais. Moi je rêvais des Jeux Olympiques et quand on passe pro, c’est fini. En même temps, la boxe féminine profession­nelle n’est pas du tout structurée. Je n’avais pas envie de m’entraîner pendant six mois pour faire un seul combat. J’aimais bien aussi arriver sur un tournoi et ne pas savoir qui j’allais rencontrer...

Chez les filles, c’est comme chez les garçons, avec des puncheuses, etc ? C’est la même chose. Il y a des écoles, comme l’école russe, la chinoise, l’italienne. Même si depuis , on est sur un jugement où l’on favorise l’attaque, l’agressivit­é, pour rendre ce sport un peu plus spectacula­ire. Nous, sur les sports de combat, on fait face à la concurrenc­e du MMA (arts martiaux mixtes, Ndlr) qui aspire tout le public et les sponsors. Et donc la boxe perd en notoriété, en pratiquant­s, en sponsors... Aujourd’hui en boxe, il faut que ça cogne, il faut aller à la baston ! On sait qu’à aucun moment il ne faut pas reculer...

Nicola Adams, qui vous a battue en finale à Rio, ça reste une déception ? Non, car je reviens de loin. C’est pas passé, c’est comme ça. Aucun regret. A la base, mon rêve c’était d’aller aux Jeux. Concernant Adams, elle était championne olympique en titre et on sait comment ça fonctionne la boxe... Il aurait fallu l’écraser complèteme­nt pour gagner (sourire). Oui, il y avait une vraie dynamique, car on a fait avant, pas mal de stages assez durs ensemble. Il y avait une vraie solidarité. On a fait six médailles, c’est historique pour la boxe française.

Un mot sur le couple en or, Estelle Mossely-Tony Yoka ? C’est une belle histoire ! Souvent aux Jeux, c’est comme ça. Il y a des parcours sympas, des trajectoir­es personnell­es.

Tony, il peut aller très loin selon vous ? Je pense oui. Il a été champion du monde amateur, champion olympique. Mais il faut lui laisser du temps, c’est un jeune pro, en général quand on passe pro, il faut changer un peu sa boxe.

Son premier combat était ‘‘risible’’ quand même... C’est normal qu’au début, on lui mette des adversaire­s un peu faciles. Il ne serait pas prêt pour Joshua maintenant, son équipe le sait, ce serait de la folie. D’ici deux ans peutêtre. Moi je dirais que le seul tort qu’il y a, c’est toute la com’ qu’il y a autour, sur des combats qui ne sont pas forcément justifiés... On parle de ‘‘la conquête’’, c’est bien mais c’est peut-être trop tôt. J’aurais pas fait comme ça, j’aurais été plus discrète au début. Et en même temps, Canal a besoin de faire du buzz. Pas trop en fait.

Votre sport pâtit d’une image négative avec les matchs arrangés, les pointages inconsidér­és de certains juges, non ? C’est compliqué parce que les gens ne comprennen­t rien. Nous quand on revient d’un tournoi et qu’on dit ‘‘j’avais gagné, je me suis fait voler’’, on le dit une fois, deux fois, trois fois, les gens nous prennent pour des mythos. Et donc à la fin, on ne dit plus rien. La France n’est pas un pays fort pour la boxe. Par exemple, concernant Adams, elle était la tête d’affiche de la fédération, c’était la belle histoire de devenir ‘‘double championne olympique’’... Il faut faire le maximum sur le ring pour ne pas laisser place au doute et qu’ils fassent basculer la décision.

Vous mettez encore les gants à la salle ? Oui, j’y vais toujours. Je donne aussi des cours et j’ouvre une salle en janvier Porte d’Ivry.

Le meilleur boxeur actuel selon vous ? J’avoue que j’aimais beaucoup Mayweather. Maintenant, son dernier combat... C’était surtout un super coup marketing ! C’était un arrangemen­t je pense, Mayweather n’allait pas descendre McGregor au premier round, car il fallait que les gens en aient pour leur argent. Il y avait des places à  dollars !

Yoka peut aller très loin, mais il y a quand même beaucoup de com’ autour de lui... ”

Qu’est-ce qui vous séduisait chez lui ? J’aimais la fluidité et l’intelligen­ce de sa boxe. L’instinct, la précision, le bon timing, le placement.

 ??  ?? Sarah, commençons d’abord par rembobiner le film de votre carrière. Quand on est une ado, pourquoi se tourner en particulie­r vers la boxe ? Lamarre par exemple ? Vous regardez la boxe à la télé ou pas trop ?
Sarah, commençons d’abord par rembobiner le film de votre carrière. Quand on est une ado, pourquoi se tourner en particulie­r vers la boxe ? Lamarre par exemple ? Vous regardez la boxe à la télé ou pas trop ?
 ??  ?? On avait l’impression, à Rio, d’une vraie équipe, d’un vrai groupe France de boxe. C’était le cas ?
On avait l’impression, à Rio, d’une vraie équipe, d’un vrai groupe France de boxe. C’était le cas ?

Newspapers in French

Newspapers from Monaco