Policiers varois attendent menottes impatiemment
Aussi incroyable que cela puisse paraître, certains policiers varois interviennent en patrouille dépourvus de menottes. Une commande d’au moins 160 paires est passée… depuis longtemps
C’est le genre d’assertion, au détour d’un procès, qui fait sursauter. Une anecdote circonstanciée, relatée par un juge. Les faits évoqués à l’audience remontent au 5 octobre dernier, devant le bâtiment n° 80 du quartier de La Beaucaire, à Toulon. Ce jour-là, des propos orduriers sont tenus en direction d’un équipage de police qui passe. Gratuitement, depuis un hall d’immeuble. Celui qui est sur le banc des prévenus nie farouchement avoir insulté. Pourtant, il a cherché à s’enfuir, quand les policiers ont mis la main sur lui – l’intéressé dit : « Ils m’ont secoué ». Mais les policiers n’arrivent pas à immobiliser le jeune homme de 19 ans qui se débat et réussit à les planter là. Le policier qui le tenait par le bras se retrouve avec la manche d’un gilet dans la main. Alors, le juge conclut, grinçant : « Les policiers n’avaient pas de menottes. Ce sont les restrictions budgétaires. » Pardon ? Pas de menottes ?
Pas de démenti
C’est en dehors de la salle d’audience qu’il faut poser questions. Sous couvert d’anonymat, des policiers bien informés ne versent pas dans le démenti. « On a fait des demandes depuis des mois et on n’a pas de réponse », confie l’un d’eux. « Cent soixante menottes sont commandées et c’est vrai qu’il en manque, notamment à La Beaucaire. » Hic. Quartier difficile, La Beaucaire est marquée par les trafics de stupéfiants. La ZSP, zone de sécurité prioritaire (sic), entend fréquemment des coups de feu. Les policiers y sont aussi régulièrement pris à partie (lire nos éditions précédentes). Parmi le millier de policiers nationaux affectés dans le Var, on ne sait pas combien attendent leur matériel. La situation est ni généralisée, ni confinée à quelques cas isolés. Dans certains services mal lotis, il arrive que les policiers « se disputent » la paire de menottes avant de partir sur le terrain.
Achats centralisés
« Cela fait partie des joyeusetés de la centralisation, réagit un autre policier varois. Un bon nombre de matériels est désormais concentré dans un système d’achat au niveau national. » Cette centralisation serait le principal facteur de la rupture de stock. Et ce ne serait pas une première. « Problème de casques, de remplacement de gilets pare-balles aussi. Pour les menottes, ça date d’avant l’été. Mais on a aussi couru après des cartouches pendant longtemps. » La maîtrise des commandes est passée de l’échelon départemental, au national. À l’exception des armes et munitions qui n’ont jamais été gérées localement. « Le grand malaise policier vient d’une centralisation coupée des réalités locales », tranche un gradé. On n’est pas dans « une restriction budgétaire », comme l’affirmait le juge toulonnais, mais plutôt dans des difficultés d’approvisionnement complexes et bien concrètes (lire ci-dessous la réponse de l’administration). En avril 2015, Var-matin relatait une pénurie de cartouches destinées au stand de tirs, pour raison de remise à niveau, après les attentats de Paris (1). Dans un contexte de missions plus nombreuses, des policiers s’alarment. De voir se dégrader les conditions dans lesquelles ils exercent. 1. Pénurie de cartouches au commissariat de Toulon, dans notre édition du 27 avril 2015.