Prison requise après la mort d’un patient à Sainte-Marie
Ce jeune homme de 21 ans avait succombé à une occlusion intestinale fin 2013. Hier, le parquet a requis 6 mois ferme contre le médecin de garde, jugé en correctionnelle avec l’interne et l’hôpital
C’est fini... Quoi ? » Alors que le Samu vient de lui répondre au téléphone, Marianne C. s’interrompt. Une infirmière l’informe de la gravité de la situation. «Ilestmort?» , s’exclame la jeune interne en psychiatrie. Marianne C. tente de reprendre ses explications, balbutiante. Mais au Samu, son interlocuteur saisit l’urgence : « Il vient de faire un malaise ? Il faut commencer la réanimation ! Là, on perd du temps à parler ! » Trop tard. Olivier Gandolfo ne se réveillera pas. Ce jeune homme de 21 ans avait été admis un mois plus tôt à l’institut Sainte-Marie, à Nice, en cure de désintoxication. Ce 28 novembre 2013, alors que s’apprêtent à résonner les douze coups de minuit, son coeur cesse de battre. Le malheureux a été pris de terribles douleurs abdominales, puis de violents vomissements, avant de succomber, à 23 h 50, des suites d’une occlusion intestinale. Une succession de défaillances, humaines et matérielles, a précédé cette issue tragique. Voilà ce qui conduit trois personnes, hier, à la barre du tribunal correctionnel de Nice. Le médecin de permanence, l’interne en psychiatrie de garde ce soir-là, et le président de l’association hospitalière Sainte-Marie comparaissent à la barre, côte à côte, répondant d’homicide involontaire. Le manque de réactivité du personnel, cette nuit-là, laisse pantois les magistrats comme les proches de la victime. Ces derniers sont nombreux dans la salle d’audience, admirables de dignité tout au long des sept heures d’audience.
L’hôpital « exprime ses regrets à la famille »
« Est-il envisageable qu’en 2013, en France, un garçon de 21 ans meure d’une occlusion intestinale dans un hôpital psychiatrique ? » Au nom de la famille d’Olivier Gandolfo, Me Gérard Baudoux martèle cette question glaçante, appuyant chaque syllabe. « Non, ça ne l’est absolument pas, acquiesce Alain Noziglia, profil bas, au nom de l’association. Et même si cela ne changera rien, je voudrais exprimer mes regrets auprès de la famille. » Quelques mots de compassion. La reconnaissance, même partielle, de manquements coupables. L’hôpital a choisi une ligne de défense à l’opposé de ses deux employés. « Pour sa part, l’association hospitalière Sainte-Marie n’entend pas échapper à ses responsabilités », grince son avocat Me Patrick Margules. D’une voix à peine audible, le Dr Dominique T., 58 ans, réfute point par point les multiples fautes qui lui sont reprochées. Pourquoi ne pas s’être inquiété de la constipation persistante de ce patient ? « C’est une situation classique en hôpital psychiatrique, liée aux traitements prescrits. » Pourquoi ne pas avoir ordonné un examen ? « J’ai appelé le radiologue ; il était parti sitôt arrivé. » Pourquoi n’a-t-il pas accouru plus tôt dans la soirée, alors qu’Olivier était, déjà, pris de vomissements ? « Ce n’était pas la raison de cet appel : on me décrivait un individu déambulant dans le service... » Pourquoi, enfin, cette « tentative de réanimation dilettante », dixit Me Baudoux ? Le Dr T. assure avoir fait au mieux, alors que la mort cérébrale lui semblait d’ores et déjà inéluctable : « J’ai agi selon ma conviction. »
« Fatalisme coupable »
Le procureur Matthias Placette dénonce pour sa part son « fatalisme coupable » , la « déconnexion totale entre sa connaissance de la situation et son intervention » .Il fustige, aussi, l’attitude de Marianne C., totalement dépassée par les événements. Pas de prise de pouls. Pas de massage cardiaque. De longues minutes à téléphoner, laissant les aides-soignantes seules dans la chambre… « C’est un peu panique à bord ! », déplore le procureur, égrenant « une succession de négligences caractérisées. » « Ce n’est pas un médecin interne qui a parlé au Samu : c’est une étudiante de 23 ans », plaide Me Emmanuel Pardo. Certes, la jeune femme « n’a pas fait le bon choix », mais elle n’a pas commis de faute caractérisée, à ses yeux. Pas davantage pour Me Hervé Zuelgaray, défenseur du Dr T., qui plaide la relaxe lui aussi. « Aucun reproche ne peut lui être fait. À son arrivée dans la pièce, la messe était dite... Certes, ce qui est arrivé à Olivier Gandolfo est inacceptable ; mais cet inacceptable doit-il se traduire par une condamnation pénale ? » Pour le parquet, la réponse est oui. Tout comme est condamnable, pour Matthias Placette, la piètre organisation de Sainte-Marie à l’époque : pas de défibrillateur à portée de main, pas de formation systématique aux premiers secours, un accès au bâtiment compliqué... Me Margules rappelle tout de même que l’hôpital devait alors gérer « une situation très difficile », après le départ concomitant des trois quarts de ses médecins. Le ministère public requiert deux ans de prison dont six mois ferme contre le Dr Dominque T., et trois ans d’interdiction d’exercer son métier. Dix mois de prison avec sursis sont requis contre Marianne C.. Des amendes, enfin : 6 000 euros contre le médecin, 3 000 euros avec sursis contre l’interne, 8 000 à 10 000 euros contre l’association. Le tribunal présidé par Anne Vincent rendra son délibéré le 11 décembre.