Jean-Noël Jeanneney : « Il fustige la République du souffle court »
Jean-Noël Jeanneney, qui présida notamment Radio France et fut secrétaire d’Etat au Commerce extérieur puis à la Communication sous les gouvernements d’Edith Cresson et Pierre Bérégovoy, au début des années 90, a tenté de poser un regard d’historien sur l’irruption soudaine d’un homme que personne n’attendait «dans une nation incertaine d’ellemême». Vaste programme, comme aurait dit le général de Gaulle dont l’ombre plane sur cette démarche. Le moment Macron sonde ce qui peut l’être du tempérament du nouveau Président pour esquisser ce qu’il pourra en faire au service du pays.
Le sens du temps long
En fil rouge, cette constante qui guide son souci de la majesté et d’une certaine rareté. «Le chef de l’Etat, écrit Jeanneney, a théorisé cet aspect essentiel de la démocratie dans un monde accablé par la pression de l’immédiat : ‘‘Il faut retrouver le sens du temps long et tracer une vision’’. Il fustige la République du souffle court. » Une méthode au service d’une conviction : « Révolutionner le pays à partir du juste milieu. » Sans certitude aucune pour l’avenir. L’auteur relève ainsi cet enseignement de l’histoire: «La gauche et la droite, à vue humaine, sont insubmersibles. De génération en génération, en France, le tête-à-tête s’entretient », pardelà les tentatives «progressistes» qui ont régulièrement ponctué notre histoire depuis la fin du XIXe siècle. Reste la façon d’exercer le pouvoir, qui pèse de tout son poids symbolique dans la réussite d’une politique. Concernant Macron, le parallèle avec de Gaulle en 1958 peut avoir sa pertinence. Mais Jean-Noël Jeanneney le relativise dare-dare, en citant Maxime Tandonnet du Figaro : «De 1958, il reste, certes, la personnalisation du pouvoir à outrance. Mais elle a changé de nature : expression d’une profonde confiance populaire en 1958, masque de l’impuissance politique en 2017. »
En quête de prestige
Emmanuel Macron lui-même entend faire sienne la pratique du Général, qui expliquait que «l’autorité ne va pas sans prestige, ni le prestige sans éloignement», aussi bien que celle de François Mitterrand, auquel Jacques Pilhan avait distillé le conseil «d’être rare dans sa parole pour lui donner tout son poids». En juillet 2015, déjà, le futur Président soulignait que «les Français n’ont jamais voulu la mort du roi et qu’ils n’ont de cesse de réinvestir le vide laissé, d’y placer d’autres figures. Après de Gaulle, la normalisation de la figure présidentielle a réinstallé un siège vide au coeur de la vie politique. Pourtant, ce qu’on attend du président de la République, c’est qu’il occupe cette fonction. Tout s’est construit sur ce malentendu.» D’où cette interrogation de Jean-Noël Jeanneney qui conditionnera l’avenir : «Jupiter saura-t-il, contrairement à ses deux prédécesseurs, garder sa stature parmi le fourmillement des internautes avides, par essence, de l’enserrer, jusqu’à risquer de le paralyser comme les Lilliputiens le firent de Gulliver ? » 1. Editions Seuil, 220 pages, 16 euros.