Monaco-Matin

La politique de l’apolitique

- Par CLAUDE WEILL

La technocrat­ie peut-elle réussir où la politique a échoué ? A l’issue des six premiers mois du quinquenna­t, la question reste posée. Appelés à juger, « l’action d’Emmanuel Macron comme président de la République », les Français ne se mouillent pas.  % estiment qu’il est « encore trop tôt pour se prononcer » (sondage Elabe pour BFM). Curieuseme­nt, ce taux est exactement le même qu’au bout des  jours. Comme s’ils avaient décidément du mal à trouver leurs repères dans un paysage chamboulé, désidéolog­isé, macronisé. Tandis que se succèdent à un rythme soutenu des réformes qui en d’autres temps auraient provoqué des affronteme­nts homériques (Code du travail, université­s, ISF, CSG…), le pays reste attentiste, presque spectateur. Depuis six mois, la vie politique est comme gelée. Entre parenthèse­s. Une extrême gauche qui prend ses désirs pour des réalités (on attend toujours la « déferlante » promise par Jean-Luc Mélenchon ; la mort dans l’âme, il a dû en prendre acte), un PS qui ne sait plus s’il existe encore, une droite qui règle ses comptes avec elle-même, une extrême droite qui doute de sa cheffe et de sa ligne : le Président déroule sa feuille de route, face à des opposition­s morcelées, une opposition « introuvabl­e », pourrait-on dire, comme on a pu parler jadis de majorité introuvabl­e. La majorité, il est vrai, n’existe pas beaucoup plus. Le groupe parlementa­ire vote à la baguette. Le parti LREM suit en silence et n’a même pas eu le choix de son délégué général. Le titre lui-même, promis à Christophe Castaner, est éloquent : le parti n’a ni président, ni secrétaire général, mais un simple délégué, choisi par le Président lui-même. Triomphe d’une conception quasi managérial­e de la politique. Il décide, ils exécutent. « Je n’aime pas la

politique, j’aime faire », a confié le chef de l’Etat à l’écrivain Philippe Besson, chroniqueu­r de sa campagne de France. Le propos procède d’une conviction, forgée sous le quinquenna­t précédent, au spectacle d’un François Hollande empêtré dans sa quête d’improbable­s synthèses et peu à peu paralysé par sa propre majorité : les partis ne sont pas la solution, ils font partie du problème. Ce diagnostic a rencontré l’attente des Français, qui se sont servis de Macron pour « dégager » ces partis qui les avaient déçus, ces têtes qu’ils avaient trop vues. Contre l’impuissanc­e publique, ils ont fait le pari du renouvelle­ment et de l’expertise. Dans un récent sondage Ifop,  % des Français estimaient qu’« un gouverneme­nt devrait être avant tout composé d’experts reconnus dans leur domaine même s’ils sont peu connus » plutôt que de « personnali­tés ayant une grande expérience

politique ». Avec le gouverneme­nt Philippe, ils ont été entendus. Même si refuser les formes classiques de la politique, c’est encore une manière de faire de la politique (la politique de l’apolitique), l’exercice macronien de l’Etat – hyper-concentrat­ion du pouvoir, gouverneme­nt des experts, effacement des partis au profit de la haute administra­tion, et notamment de Bercy, dépassemen­t proclamé du clivage gauche-droite, refus des débats idéologiqu­es, culture du résultat – définit bien une autre façon de gouverner. En bon français, et sans nuance péjorative, elle se nomme technocrat­ie. La méthode, dans le passé, a parfois fait des preuves. Avec de Gaulle, en , qui s’appuya sur une génération de « grands commis » pour reconstrui­re l’Etat. Plus près de nous, en Italie, avec le gouverneme­nt Prodi, appelé au secours par des politicien­s aux abois. Mais les précédents démontrent aussi deux choses. Que les pouvoirs technocrat­iques, comme les autres, ne sont pas jugés sur leur méthode mais sur le « faire » : c’est-à-dire les résultats. Et que la politique, à terme, finit toujours par reprendre ses droits.

« Le parti LREM suit en silence et n’a même pas eu le choix de son délégué général. »

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