La politique de l’apolitique
La technocratie peut-elle réussir où la politique a échoué ? A l’issue des six premiers mois du quinquennat, la question reste posée. Appelés à juger, « l’action d’Emmanuel Macron comme président de la République », les Français ne se mouillent pas. % estiment qu’il est « encore trop tôt pour se prononcer » (sondage Elabe pour BFM). Curieusement, ce taux est exactement le même qu’au bout des jours. Comme s’ils avaient décidément du mal à trouver leurs repères dans un paysage chamboulé, désidéologisé, macronisé. Tandis que se succèdent à un rythme soutenu des réformes qui en d’autres temps auraient provoqué des affrontements homériques (Code du travail, universités, ISF, CSG…), le pays reste attentiste, presque spectateur. Depuis six mois, la vie politique est comme gelée. Entre parenthèses. Une extrême gauche qui prend ses désirs pour des réalités (on attend toujours la « déferlante » promise par Jean-Luc Mélenchon ; la mort dans l’âme, il a dû en prendre acte), un PS qui ne sait plus s’il existe encore, une droite qui règle ses comptes avec elle-même, une extrême droite qui doute de sa cheffe et de sa ligne : le Président déroule sa feuille de route, face à des oppositions morcelées, une opposition « introuvable », pourrait-on dire, comme on a pu parler jadis de majorité introuvable. La majorité, il est vrai, n’existe pas beaucoup plus. Le groupe parlementaire vote à la baguette. Le parti LREM suit en silence et n’a même pas eu le choix de son délégué général. Le titre lui-même, promis à Christophe Castaner, est éloquent : le parti n’a ni président, ni secrétaire général, mais un simple délégué, choisi par le Président lui-même. Triomphe d’une conception quasi managériale de la politique. Il décide, ils exécutent. « Je n’aime pas la
politique, j’aime faire », a confié le chef de l’Etat à l’écrivain Philippe Besson, chroniqueur de sa campagne de France. Le propos procède d’une conviction, forgée sous le quinquennat précédent, au spectacle d’un François Hollande empêtré dans sa quête d’improbables synthèses et peu à peu paralysé par sa propre majorité : les partis ne sont pas la solution, ils font partie du problème. Ce diagnostic a rencontré l’attente des Français, qui se sont servis de Macron pour « dégager » ces partis qui les avaient déçus, ces têtes qu’ils avaient trop vues. Contre l’impuissance publique, ils ont fait le pari du renouvellement et de l’expertise. Dans un récent sondage Ifop, % des Français estimaient qu’« un gouvernement devrait être avant tout composé d’experts reconnus dans leur domaine même s’ils sont peu connus » plutôt que de « personnalités ayant une grande expérience
politique ». Avec le gouvernement Philippe, ils ont été entendus. Même si refuser les formes classiques de la politique, c’est encore une manière de faire de la politique (la politique de l’apolitique), l’exercice macronien de l’Etat – hyper-concentration du pouvoir, gouvernement des experts, effacement des partis au profit de la haute administration, et notamment de Bercy, dépassement proclamé du clivage gauche-droite, refus des débats idéologiques, culture du résultat – définit bien une autre façon de gouverner. En bon français, et sans nuance péjorative, elle se nomme technocratie. La méthode, dans le passé, a parfois fait des preuves. Avec de Gaulle, en , qui s’appuya sur une génération de « grands commis » pour reconstruire l’Etat. Plus près de nous, en Italie, avec le gouvernement Prodi, appelé au secours par des politiciens aux abois. Mais les précédents démontrent aussi deux choses. Que les pouvoirs technocratiques, comme les autres, ne sont pas jugés sur leur méthode mais sur le « faire » : c’est-à-dire les résultats. Et que la politique, à terme, finit toujours par reprendre ses droits.
« Le parti LREM suit en silence et n’a même pas eu le choix de son délégué général. »