La mémoire ne meurt jamais Soins
La maladie d’Alzheimer ne parvient pas effacer l’empreinte des souvenirs d’avant… La mnémothérapie s’appuie sur cette mémoire rétrograde pour redonner parole et joie aux malades
Éveiller et faire s’épanouir, chez des malades d’Alzheimer, la reviviscence des jours heureux imprimés dans leur mémoire rétrograde. Cela a un nom : mnémothérapie (du grec « mnêmosia », « mémoire » et de « therapévô », « servir, prendre soin, traiter »). « Tout ce qui a été mémorisé avant la survenue de la maladie d’Alzheimer est soigneusement stocké, explique le Dr Jean-Claude Broutard, qui mène depuis des années des recherches sur la mnémothérapie Cette mémoire des événements anciens est un véritable trésor puisqu’elle recèle la totalité de notre identité, de notre intimité, tous nos repères... tout ce qui fait que nous pouvons être ce que nous sommes... » Les personnes en bonne santé peuvent à tout moment et très rapidement ramener au présent ces souvenirs anciens. Ce n’est pas le cas des malades d’Alzheimer. « À un stade avancé de la maladie, ce rappel volontaire, immédiat ne marche pas : c’est ainsi qu’à des questions aussi simples que : “Quel est le prénom de votre fille?” Ou: “Quand êtes-vous né?” la personne malade ne peut répondre, ce qui est source de souffrance ». Incapable de « récupérer » ces souvenirs, elle s’éloigne peu à peu d’elle-même, de son identité. « L’objectif de la mnémothérapie est de réveiller le passé pour redonner une structuration identitaire, sans prétention de soigner. »
Revivre au présent et en acteur
Elle s’appuie pour cela sur la mémoire inconsciente, épargnée par la maladie. « Elle continue de fonctionner très bien ; il suffit de la stimuler pour qu’elle réveille la mémoire Jean-Claude Broutart
«Au départ cette approche était considérée comme un seul essai de transposition à la maladie d’Alzheimer des phénomènes de réminiscence et de reviviscence, décrits dans toute l’oeuvre de Marcel Proust», indique le Dr Broutart.
rétrograde. » Le rappel involontaire est obtenu en utilisant un stimulus connu – « pour qu’il puisse être reconnu » –, imprévu – « c’est fondamental » – et connecté avec un événement de la vie ancienne. «Ce stimulus peut être lié à l’un ou l’autre des cinq sens ; une image, un mot, une odeur – la célèbre madeleine de Proust – ou encore d’un
morceau de musique. » C’est la musique, son autre passion avec la médecine, que le Dr Broutart utilise avec ses patients (lire encadré cicontre). Sous l’effet du stimulus, « une page de sa vie qu’il avait oubliée apparaît au patient, qu’il va revivre au présent et en acteur. » Pendant cette période, des patients totalement apathiques et mutiques vont ainsi se réapproprier le langage et narrer avec joie ce qu’ils vivent.
Sortir de l’apathie sévère
« L’apathie est l’un des signes majeurs de la maladie d’Alzheimer ;
elle va en s’exagérant jusqu’à la dépression. Il semble que cette apathie sévère provienne d’une déconnexion avec un état de conscience très important, la conscience de repos, ou réseau par défaut. » En d’autres termes, le malade ne rêve plus (éveillé), il n’est plus traversé par ce flux quasi permanent de pensées que nous tous connaissons. D’où la perte de motivation, de désir et cette apathie. « Sa conscience est vide en quelque sorte. Et c’est ce réseau par défaut, déconnecté, que la mnémothrapie fait travailler. »
« Le choix de ces musiques est réalisé en tenant compte de l’âge, mais aussi du témoignage de la famille. »
« Le patient sort de son apathie, retrouve la parole, il raconte un épisode de sa vie. »
« La musique qui a suscité de la joie chez lui le lundi aura le même effet le mardi, ou à n’importe quel moment. Pendant qu’il raconte un épisode de sa vie, le patient est en situation de rêve éveillé.»
« même s’il ne sait pas pourquoi, le malade se sent bien lorsqu’on le retrouve pour une séance ». Les séances de mnémothérapie, proposées régulièrement, ramène le malade, jour après jour, séance après séance, à la vie. « Il sent qu’il est bien avec le thérapeute. Sans savoir pourquoi, il est heureux. Une sorte d’apprentissage du bonheur, que le Dr Broutart nomme : « la familiarité heureuse ». 1. Il animait le 7 novembre dernier une conférence sur le thème : « mémoires perdues, mémoires retrouvées… la mnémothérapie dans la maladie d Alzheimer », au sein des cliniques Arnault Tzanck de Mougins-Sophia-Antipolis.