Monaco-Matin

Le procès mal ficelé d’une maison de retraite de Drap

- ERIC GALLIANO egalliano@nicematin.fr

Quel bordel ! » Le mot est lâché par une des victimes. Elles étaient une demi-douzaine, pour la plupart des anciens salariés de la maison de retraite l’Eau Vive à Drap, à avoir pris place sur le banc des parties civiles du tribunal correction­nel de Nice hier matin. Le gérant de cet Ehpad (établissem­ent d’hébergemen­t pour personnes âgées dépendante­s) de la vallée du Paillon, son épouse, la mère de celle-ci ainsi qu’une quatrième prévenue devaient y être jugés. A ces fins ces derniers avaient reçu une convocatio­n par officiers de police judiciaire dressant la liste des délits dont ils devaient répondre. Longue comme un jour sans fin. L’audience a consisté à en faire, tant bien que mal, la lecture par la présidente Catherine Bonnici. Et puis les débats ont très vite tourné courts. Ils ne reprendron­t pas avant le 15 juin prochain. En attendant le ministère public va devoir revoir sa copie pour étayer son accusation.

Onze délits cités

La présomptio­n qui pesait sur les quatre prévenus, à commencer par le gérant de la SARL L’Eau vive à Drap, Jean-Nicolas Mari, semblait pourtant bien lourde, du moins sur le papier : «soumission de personnes vulnérable­s à des conditions d’hébergemen­t indignes », « mise en danger de la vie d’autrui », « abus de confiance », « escroqueri­e », « abus de bien social », « tromperie », « violences », « non-justificat­ion de ressources », « harcèlemen­t moral » et « travail dissimulé ». Il est vrai que l’affaire menée par les gendarmes avait fait grand bruit, en début d’année, lorsque ces derniers avaient perquisiti­onné la maison de retraite (nos éditions des 25 et 26 janvier) au terme d’une longue enquête. Moins de zèle a été mis au moment de renvoyer les mis en cause devant la justice. Le ministère public s’est contenté d’une convocatio­n par officier de police judiciaire, plutôt que de privilégie­r la voie d’une citation directe. À l’arrivée, devant le tribunal correction­nel, la présidente a bien du mal à en dresser l’inventaire. Les préjudices ne sont pas précisés, pas plus que les victimes qui les auraient subis. On parle d’une SARL sans la nommer. On se doute bien qu’il s’agit de la société qui gère la maison de retraite. Mais, du coup, Me Christophe Dupont qui intervient en défense, s’engouffre dans ce boulevard que lui a ouvert le ministère public. Les faits imputés à ses clients sont tellement « flous » que l’avocat à bien du mal à « comprendre exactement ce qu’il leur est reproché ». Dès lors, il ne voit pas comment il va « pouvoir les défendre ». Immanquabl­ement, Me Dupont soulève des nullités. « Souvent c’est de la noyature de poiscaille (ndlr. noyer le poisson), reconnaît-il, mais là...» Même la représente du ministère public en convient : «Aujourd’hui c’est compliqué pour moi d’être à la place qui est la mienne », concède la substitut du procureur qui avoue elle-même avoir « bien du mal à comprendre» la prévention telle qu’elle a été libellée. Au point de s’être demandée si elle allait «avoir le courage» de s’associer aux demandes de nullité de la défense « et peut-être même d’aller au-delà » !

Nullités partagées

Elle l’a eu en requérant la nullité de la convocatio­n pour dix des onze délits visés. La présidente Bonnici l’écoute le regard noir et, après en avoir délibéré, annule la quasiintég­ralité de la citation. Des murmures traversent la salle d’audience. les avocats des parties civiles s’empressent d’aller expliquer cette décision à leurs clients : «C’est mieux, souffle l’un d’eux. Parce qu’en l’état on courrait droit à la relaxe.» Les gérants de L’Eau Vive ne s’en tireront pas à si bon compte. Ils seront reconvoqué­s devant ce même tribunal. La présidente demande à ce que soit fixée « une date très lointaine ». Histoire de laisser le temps au ministère public de revoir sa copie et de la peaufiner davantage ? En attendant les gérants vont devoir continuer à se passer de leur Porsche Cayenne et autre BMW M3 dont ils ont bien tenté de demander aussi la restitutio­n hier. En vain tout de même.

 ?? (Photo Franck Fernandes) ?? La maison de retraite L’Eau Vive à Drap avait été perquisiti­onnée en janvier dernier.
(Photo Franck Fernandes) La maison de retraite L’Eau Vive à Drap avait été perquisiti­onnée en janvier dernier.

Newspapers in French

Newspapers from Monaco