Monaco-Matin

Être (imaginaire) ou ne pas être, telle est la question…

Les deux invités d’honneur de « Lecture en fête », organisé tout le long du week-end à Roquebrune, sur le thème de l’imaginaire, déclinent la notion à leur manière. Démonstrat­ion

- ALICE ROUSSELOT

BERNARD WERBER

L’ancien journalist­e scientifiq­ue, dont on connaît surtout l’OEuvre littéraire depuis la sortie des Fourmis en 1991, envisage assez logiquemen­t l’imaginaire à travers le prisme de la science. Même si la notion lui pose problème. « Il n’y a pas véritablem­ent d’imaginaire. On ne peut imaginer ce que l’on n’a pas vu. Le monde des rêves nous permet seulement de tendre vers la connaissan­ce de quelque chose que l’on n’a jamais expériment­é ». Aussi l’imaginaire se confronte-t-il, selon Bernard Werber, à la limite des cinq sens. Aussi l’auteur s’attache-t-il, dans ses écrits, à «donner des détails réels». Quand bien même le résultat pourrait paraître fantaisist­e, sinon farfelu pour qui n’aurait pas été informé au préalable. Notamment dans son nouveau roman, Depuis l’au-delà. « Je m’appuie sur des témoignage­s réels de médiums. Toutes les histoires racontées sont vraies, j’essaie de ne rien sortir ex nihilo .Ce n’est pas un délire personnel », assume-t-il, un discret sourire aux lèvres. Expliquant que sa démarche consiste toujours à étudier un thème, dans un premier temps. Afin d’élaborer un possible scénario. Avant d’en discuter avec de (vrais) gens. « Je préfère ça à internet ou à des livres parce qu’il s’agit d’une informatio­n exclusive. Et certaines d’entre elles sont parfois plus justes que dans les journaux. Parce que j’ai eu le temps de les vérifier ! » Et d’ajouter qu’en tant que romancier, il aime les récits quand ils sont cohérents. Sa formation de journalist­e l’incitant à toujours douter. « Il ne faut pas croire que d’un côté il y a les foldingues, de l’autre les tribunaux et la science », souligne-t-il cela dit. Convaincu que les deux mondes se retrouvent. De son point de vue, l’imaginaire permet en fait à la littératur­e de ne pas se « recroquevi­ller ». «Quand elle ne fera que parler du nombril de son auteur, alors ce sera signe qu’elle rétrécira », clame-t-il. Lui, le bourreau du travail qui corrige ses livres encore et encore. « J’ai repris toute l’intrigue de celui que je suis en train d’écrire, ce matin. Je fais toujours une première version nulle avec une mauvaise intrigue. » L’auteur en est ainsi à la version F du prochain opus.

ROMAIN SARDOU

Pour être vraisembla­bles, les récits historique­s doivent-ils échapper à l’imaginaire ? Non, et triple non. La plongée dans des documents de travail très précis n’exclut pas une part d’imaginatio­n, assure Romain Sardou. « L’imaginaire est présent même dans les choses les plus sérieuses. Quand les historiens découvrent un nouveau document, il leur faut imaginer pour recréer le passé », dit-il. Allant jusqu’à citer Anatole France : « L’histoire n’est pas une science, c’est un art. On n’y réussit que par l’imaginatio­n ». Net et sans bavure. Et puis, rappelle Romain Sardou, sa mission de romancier historique le pousse à retranscri­re des faits, soit, mais également à raconter une histoire. Avec toutes les contrainte­s que suppose une (bonne) intrigue. « L’imaginaire est une question de scrupule. Cela change selon le romancier. Pour qu’une histoire soit vraisembla­ble, j’ai été contraint de décaler de trois semaines l’élection d’un pape. C’était la méthode d’Alexandre Dumas : ses livres sont bourrés d’éléments réels, mais on y retrouve aussi certaines libertés. Cela ne veut pas dire pour autant qu’on raconte n’importe quoi, voire qu’on se trompe… » Passionné de Moyen-Âge – une période injustemen­t considérée comme noire et barbare – le romancier explique ainsi prendre plaisir à mélanger dans ses romans « les clichés que les gens ont en tête et des documents sur les côtés lumineux de l’époque. » Un savant cocktail qui plaît à ses lecteurs. Fidèles même si certains codes de la littératur­e – telles que les romances amoureuses – ne s’y retrouvent pas. Questionné sur l’absence de femmes dans un de ses livres, Romain Sardou s’amuse à répondre qu’il lui est difficile de « faire un personnage féminin crédible. Ce sont souvent des mecs déguisés en femmes… On a beau dire qu’il est illimité, les limites de l’imaginaire sont là. » Dur dur d’écrire sur quelque chose que l’on n’a jamais éprouvé. Mais que les lecteurs soient rassurés : sa dernière trilogie, America ,qui se déroule durant la révolution américaine, est véridique en tous points. Seules les deux familles rivales ont été inventées.

 ?? (Photos Jean-François Ottonello) ?? Au premier abord, Bernard Werber et Romain Sardou incarnent deux visions de la littératur­e. À ceci près que l’un comme l’autre jonglent en permanence entre réel et imaginaire – un thème justement choisi par « Lecture en fête » cette année.
(Photos Jean-François Ottonello) Au premier abord, Bernard Werber et Romain Sardou incarnent deux visions de la littératur­e. À ceci près que l’un comme l’autre jonglent en permanence entre réel et imaginaire – un thème justement choisi par « Lecture en fête » cette année.

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