« Une véritable guerre rhétorique »
Anne Millet-Devalle, professeur de droit public à l’université Nice - Côte d’Azur, spécialiste du droit du désarmement et de la non-prolifération, décrypte cette crise qui prend de l’ampleur
On peut relativiser ce nouvel épisode de tension en rappelant qu’il s’inscrit dans un processus, entamé depuis la fin de la Guerre Froide, de négociations entre ces deux États entrecoupées par des crises plus ou moins aiguës. En particulier en , après l’accord de , qui lui-même suivait la signature d’un accord, non appliqué, en . Il y a actuellement une véritable guerre rhétorique. Dans cette escalade verbale, les deux protagonistes emploient les mêmes termes. À l’escalade verbale s’ajoute le fort accroissement des tensions militaires. Le tir de missile de mardi dernier est le vingtième depuis le début de l’année, après l’essai nucléaire de septembre. Les États-Unis mènent les manoeuvres militaires dans le Pacifique ouest les plus importantes depuis dix ans, dont la Corée du Nord s’est plainte en « La Corée du Nord – Kim Jong-un ci-dessus – est un État nucléaire, dont le programme progresse très vite », estime le professeur Anne Millet-Devalle.
novembre dans une lettre au Secrétaire général des Nations unies. Les États-Unis ont, à nouveau, inscrit la Corée du Nord sur la liste des États soutenant le terrorisme et durci leurs sanctions pour accroître l’isolement de Pyongyang. Le principal risque, évoqué par le président sud-coréen, qui prône un dialogue intercoréen, serait celui « d’une spirale hors de contrôle ». Mais les éléments de tension sont atténués à la fois par une partie de l’administration américaine – en particulier le Secrétaire d’État favorable à la voie diplomatique, et par la
Chine, acteur régional majeur, qui a demandé à Pyongyang de respecter les résolutions des Nations unies et oeuvre à une reprise des négociations.
Peut-on considérer la Corée comme un État nucléaire? La République Populaire de Corée du Nord (RPCN) s’est retirée du Traité de nonprolifération (TNP) en , car ce texte l’engageait à demeurer un État non doté d’armes nucléaires (ENDAN). Ce traité, signé en , confère en effet le statut d’État doté d’armes nucléaires aux seuls cinq pays (États-Unis, Russie, Royaume-Uni, France, Chine) qui ont effectué un essai avant le janvier . Depuis, le Pakistan, l’Inde et Israël, qui ne participent pas au TNP, se sont dotés d’armes nucléaires et les ont testées. Ayant réalisé un premier essai en , la Corée du Nord est donc un État nucléaire, dont le programme progresse très vite, à l’instar du développement de ses missiles. Pyongyang maîtrise la fission nucléaire, ce qu’elle a démontré depuis en réalisant plusieurs essais souterrains de bombes atomiques. En septembre, un sixième essai nucléaire de forte ampleur a été réalisé (huit fois la puissance d’Hiroshima) : Kim Jong-un affirme qu’il s’agit d’une bombe à hydrogène, que cette arme à fusion, suffisamment miniaturisée, pourrait être installée sur un missile intercontinental, ce qui placerait la Corée du Nord dans la catégorie des États possédant une force de frappe nucléaire d’envergure mondiale. La France, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité, a des responsabilités spécifiques en matière de maintien de la paix et de sécurité internationale. Elle y a appuyé fermement la politique de diplomatie coercitive qui a permis l’adoption des dix-sept résolutions condamnant le programme militaire de la RPCN, dont sept définissent des sanctions de plus en plus sévères à l’égard de la Corée du Nord (embargo sur les armes, le gaz naturel, restrictions d’importations, d’exportations, de transferts financiers, procédures maritimes et d’inspection des cargaisons, etc.). Malgré leur efficacité très relative, ces sanctions sont néanmoins considérées par la France comme nécessaires à l’établissement d’un rapport de forces qui doit permettre une solution diplomatique. Alors que les États-Unis viennent d’appeler tous les États à rompre leurs relations diplomatiques avec la RPCN, il faut souligner que la France, contrairement à ses partenaires européens, a toujours refusé de reconnaître la RPCN, avec laquelle elle n’entretient pas de relations diplomatiques et consulaires. Il existe pour autant des contacts diplomatiques, des programmes de coopération culturelle, scientifique et technique, mais la France n’a jamais participé aux pourparlers de dénucléarisation de la péninsule, qui sont limités à six États (les deux Corées, la Chine, les États-Unis, le Japon et la Russie). Techniquement, la RPCN développe et possède désormais des missiles capables d’atteindre le territoire français, mais les autorités nord-coréennes ont toujours affirmé ne cibler que les États-Unis…