Monaco-Matin

L’incroyable remontée du ramasseur de balles

À 74 ans, Francis Truchi, le directeur Roquebruno­is du Monte-Carlo Country Club revient sur son destin. Celui du petit ramasseur de balles propulsé à l’âge 35 ans à la tête de cette institutio­n du tennis

- GRÉGOIRE BOSC-BIERNE gbosc-bierne@nicematin.fr

En fait, c’est comme si j’étais né ici », lâche-t-il en posant un regard tendre sur les courts du Monte-Carlo Country Club, comme s’il contemplai­t l’étendue de sa vie. Car pour Francis Truchi, ce lieu mythique qui accueille depuis 1897 l’un des tournois majeurs du monde du tennis, c’est un peu le temple dont il est le gardien depuis quarante-quatre ans. De ses débuts en tant que ramasseur de balles jusqu’à sa nomination au poste de directeur, en passant par ses sept participat­ions à la coupe Davis, Francis Truchi exhume de la terre battue une vie au service du Monte-Carlo CountryClu­b. Un lieu qu’il décrit comme «un endroit merveilleu­x», mais dont il s’estime simplement être « l’humble serviteur ». «Quand j’étais gamin, mes copains jouaient presque tous au football. J’étais l’un des seuls à m’intéresser au tennis. Ils se moquaient de moi parce que je pratiquais un sport qu’ils qualifiaie­nt de noble», amorce-t-il. Âgé de huit ans, Francis Truchi fait ses débuts au MonteCarlo CountryClu­b en tant que ramasseur de balles lors du tournoi phare. «Les ramasseurs de balle étaient principale­ment des enfants d’ouvriers comme moi. Mais un jour, j’ai lu dans un magazine qu’un ambassadeu­r était furieux que son fils n’ait pas été sélectionn­é pour le faire. Là, je me suis dit que j’étais un précurseur. Le sport casse les barrières sociales», se marre-t-il. Épris de passion pour cette balle jaune qui fuse de raquette en raquette, le fils du responsabl­e des hommes de courts observe ses idoles. «J’ai appris le tennis en les regardant. L’américain Budge Patty avait une attitude, une classe folle. Il y a eu Pierre Darmon aussi… Et Ivan Landl, l’un des premiers joueurs à intégrer la diététique dans son entraîneme­nt», raconte le directeur, plongé dans ses souvenirs. Le jeudi, le petit Francis, s’éclipse derrière les courts pour imiter ses idoles. «On jouait contre un mur avec les copains. À l’époque, il n’y avait pas de matériel adapté aux enfants. On utilisait des raquettes en bois qui ressemblai­ent plus à des battoirs comme à la pelote basque ». Les années passent, Francis s’entraîne dur à l’abri des regards indiscrets, et manifestes déjà un certain talent. «J’ai été repéré par les dirigeants du club, puis sélectionn­é à 14 ans pour jouer la Coupe de Galéa, l’équivalent de la Coupe Davis pour les moins de 21 ans». Fini de taper la balle contre le mur, les portes des compétitio­ns internatio­nales s’ouvrent à lui. C’est le début de l’ascension. « À l’époque, en 1958, il y avait beaucoup moins de licenciés et seulement quatre nations dans les poules éliminatoi­res. Dans la nôtre, il y avait les Pays-Bas, la Russie et l’Italie. Lors de la compétitio­n, j’ai eu la chance de rencontrer Sergio Tacchini». Francis enchaîne les tournois mais rien de grandiose. « J’étais un joueur moyen », assure-t-il. Pourtant, en 1966, il est sélectionn­é par l’équipe nationale monégasque pour participer à sa première Coupe Davis, aux côtés d’Adrien Viviani, André Vatrican et de Patrick Landau. « C’était un honneur pour moi, mais aussi une grosse pression ». Malheureus­ement, un adversaire de taille se dresse sur la route des Monégasque­s, le Maroc de Lahcen Chadli et ses compères Bouchaïb Haïbabi, Ahmed Benali, et Ali Laâroussi. «Le seul match que j’ai disputé, c’était en double avec Vatrican. On a gagné en 3 sets et ramené le seul point de l’équipe. C’était beaucoup d’émotions parce que je voyais les quelques supporters monégasque­s heureux». Francis grandit, muscle son jeu et rivalise avec les grands noms du tennis mondial sous les couleurs de son pays d’adoption, la principaut­é de Monaco. «Mon souvenir le plus fort, c’était contre le Portugal en mai 1970. On menait 3-1 et je devais affronter Alfredo Vaz Pinto, le champion national, pour le point décisif. J’étais mené de deux sets à zéro et il y avait 5-1 et 30-15 dans le troisième. Il y a eu un déclic et j’ai renversé la vapeur alors qu’il me mettait une taule». Un match comme on ne vit qu’une fois, car comme dit Francis Truchi, «l’indécision fait le charme du tennis ». En 1972, Francis Truchi est nommé directeur adjoint du comité d’organisati­on du tournoi phare du club : l’Open de Monte-Carlo. «J’ai vu cette compétitio­n grandir, les joueurs se profession­naliser et le matériel s’améliorer. Au début, on mobilisait 15 employés. Aujourd’hui, c’est entre 700 et 800 ». Côté public, Francis voit passer le nombre de spectateur­s de 300 à près de 13 000 aujourd’hui. Puis, à l’âge de 35 ans, le 1er juillet 1978, Francis Truchi devient directeur de son club de toujours. «Le club a beaucoup évolué avec les vestiaires profession­nels, la salle de gym, la piscine… Mais ce dont je reste le plus fier, c’est l’aménagemen­t de la salle de presse en 1986. Ça lui a donné une toute autre envergure et on donnait un outil digne à la presse ». Aujourd’hui âgé de 74 ans, Francis Truchi aura fréquenté le Monte-Carlo Country Club depuis près de 66 ans. Une vie au service du tennis qui lui a valu d’être élevé au rang de chevalier de l’ordre national du mérite, par décret du président de la République française, pris le 18 novembre 2017 et publié au Journal officiel le 21 novembre. « Je l’ai appris le lendemain de la publicatio­n au Journal officiel. Un ami m’a envoyé un SMS à 23h30. J’étais surpris, je me suis demandé si je méritais cette distinctio­n car beaucoup de gens peuvent y prétendre. J’en suis fier mais beaucoup de gens l’auraient également méritée», sourit-il, en feuilletan­t la pile de lettre de félicitati­ons que lui a value cette distinctio­n. Mais loin des éloges qu’on lui dresse, Francis Truchi garde son «rythme de croisière» et continue d’écrire son histoire, liée pour toujours à celle du Monte-Carlo Country Club.

L’indécision fait le charme du tennis ” Le sport casse les barrières sociales ”

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(Photo Cyril Dodergny) (Photo Bob Martin) Francis Truchi en  (à gauche), alors qu’il était vice-président du comité d’organisati­on de l’Open de Monte-Carlo, devenu le Rolex Masters en .

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