Monaco-Matin

Laisse ton téléphone dehors

- Par CLAUDE WEILL

On ne peut pas dire que le ministre ait pris les parents et les enfants en traitre : l’interdicti­on des portables dans les écoles et les collèges était une promesse de campagne d’Emmanuel Macron. Réitérée par Jean-Michel Blanquer lors de la dernière rentrée scolaire. Mais nous sommes en France où tout commence par des débats, et l’annonce par le ministre de l’Education que cette mesure serait appliquée dès septembre  a relancé une de ces polémiques qui vous font perdre votre latin. Car enfin, cela fait des années qu’on entend les profs se plaindre de l’invasion des smartphone­s à l’école et de la difficulté de faire la classe à des enfants et des ados qui passent plusieurs heures par jours les yeux collés à un écran. Mais que le gouverneme­nt décide de sanctuaris­er l’enceinte scolaire, et voilà que surgissent mille objections. On nous dit, en vrac, que ça ne sert à rien puisque les portables sont déjà prohibés en classe. Que l’interdicti­on poserait des problèmes « insolubles » : comment feraient les parents qui ont besoin de joindre leur petit ? Où ranger les appareils ? Sous la surveillan­ce de qui ? Et que faire si les enfants les planquent, puisqu’on n’a ni le droit de les fouiller, ni de confisquer les portables ? Etc. Eh bien, qu’on nous pardonne, mais tout ça, ce sont des arguments à la gomme. Comme si on disait que ça ne sert à rien de limiter la vitesse puisqu’on ne peut pas mettre un gendarme dans chaque voiture. Oublions les faux débats et posons la seule question qui vaille : faut-il protéger les enfants et le système pédagogiqu­e fondé sur la relation enseignant-enseigné contre l’invasion des objets high tech ? Car rappelons-le, ces bijoux techno qu’on appelle par habitude « téléphones » ne servent pas à téléphoner – ou alors, subsidiair­ement. Tous les parents d’ados ont pu faire le test : quand on appelle, on tombe  fois sur  sur le répondeur. Non, un smartphone, c’est à la fois une messagerie, un appareil photo, un réservoir inépuisabl­e de vidéos « trop drôles », de musiques « trop cool » et de jeux « trop fun », un ordinateur qui sait tout sur tout, une calculatri­ce, un correcteur orthograph­ique, j’en passe, et surtout, pour les enfants et les ados, un nodal servant à se connecter avec ses copains sur Facebook, Snapchat, ou Instagram. Autant d’activités plus excitantes que les problèmes de robinets. Mais dont l’abus – diverses études le démontrent – n’est pas sans risque : confusion, troubles de l’attention, voire addictions (c’est si vrai que les dirigeants d’Apple, Twitter et cie veillent à limiter l’usage des nouvelles technologi­es par leurs enfants : chez Steve Jobs, pas de smartphone avant l’âge de  ans !). C’est pourquoi il est important que le temps scolaire offre une parenthèse mettant les enfants à l’abri des sollicitat­ions parasites. Il ne s’agit pas seulement ici de réussite scolaire. La fulgurante propagatio­n du smartphone signe l’avènement d’une rupture historique, la révolution numérique, dont nous n’avons pas fini de mesurer les effets. La question est : comment domestique­r les vertigineu­ses potentiali­tés des nouveaux outils informatiq­ues, de façon que nos enfants, ces mutants, en soient les maîtres et non les esclaves ? La réponse est : en développan­t l’aptitude à organiser sa pensée ; en cultivant les irremplaça­bles capacités cognitives que sont la mémoire et le sens critique. Cela s’appelle l’éducation. Pourquoi faut-il bannir le portable à l’école ? Pas seulement parce qu’il perturbe les cours, gène la concentrat­ion, tue cette activité essentiell­e qu’est le jeu collectif à la récré, ou parce que son prix engendre des discrimina­tions et des jalousies – autant de raisons d’ailleurs très valables –, mais parce que l’école reste depuis  ans le lieu par excellence où se transmet, de maître à élève, le goût d’appendre à apprendre.

« C’est pourquoi il est important que le temps scolaire offre une parenthèse mettant les enfants à l’abri des sollicitat­ions parasites. »

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