Faut-il les interdire aux adolescents ?
La garde des Sceaux veut interdire leur accès aux moins de 16 ans. S’ils sont source de violences au sein des établissements, les réseaux sociaux peuvent-ils pour autant être ainsi rayés de la carte scolaire ?
Faut-il s’attendre à une épidémie de « nomophobie »? Les dernières annonces gouvernementales risquent, en effet, de donner des palpitations à tous les hyperconnectés atteints de «no-mobile-phone-phobia », cette maladie d’un genre nouveaux dont souffrent les accros du portable. Elle ferait notamment des ravages chez nos adolescents. Or, le weekend dernier, le ministre de l’Éducation a annoncé qu’ils allaient devoir s’en passer au collège. Trois jours plus tard, c’est au tour de la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, de présenter un projet de loi visant à interdire les réseaux sociaux aux moins de 16 ans, repoussant ainsi de trois ans l’âge de la majorité numérique – théorique – sur Snapchat, Facebook ou Instagram.
« C’est ingérable ! »
Dans les faits, les 13 ans minimum requis sont rarement respectés. Sylvie Penicaut le constate tous les jours. Principale au collège RolandGarros de Nice, elle n’a d’ailleurs pas attendu la consigne gouvernementale pour interdire, non «pas le portable mais son usage ». «Comme c’est d’ailleurs le cas dans la plupart des établissements », soulignet-elle. De là à demander à tous les élèves de déposer leur téléphone à l’entrée il y a toutefois une nuance qui risque de se heurter à des difficultés pratiques : « On n’est pas en Conseil des ministres, pour un collège ce n’est pas gérable ! » Voilà pourquoi Sylvie Penicaut croit davantage à la «méthode douce» qu’à une loi bien «difficile à appliquer». Même si elle n’est pas dupe, certains de ses élèves sortent, sans doute, de temps en temps leur portable « en douce». Mais ce que ce chef d’établissement veut surtout, c’est « limiter le temps qu’ils passent sur les écrans ». Et plus encore «sur les réseaux sociaux». Car elle est « effarée » de leur méconnaissance des règles qui s’appliquent à ces nouveaux médias: «Ils ne se rendent pas compte que ce qu’ils écrivent est public.» En revanche, elle voit bien, « la violence générée par ces réseaux sociaux dans la vie réelle ». En interdire l’accès avant 16 ans est-il pour autant la solution? La principale du collège Roland-Garros trouve assez « paradoxal de vouloir interdire des nouvelles technologies qu’on utilise par ailleurs comme outil pédagogique ». Elle ne croit guère en l’instauration d’une règle qui est, en outre, «déjà contournée ». Pourtant, Arnaud Baechler assure qu’on a les moyens de la faire appliquer. «Grâce à l’intelligence artificielle qui, aujourd’hui, est capable de lire une carte d’identité et de dire si elle correspond au profl», explique ce Social Media Manager azuréen.
Solution... à court terme
Les réseaux sociaux c’est son monde professionnel. « Je passe ma vie dessus et je vois bien les dégâts qu’ils peuvent causer. » Alors pourquoi ne pas en brider l’accès. «C’est une bonne solution, à court terme du moins, tempère Arnaud Baechler qui est favorable à un « moratoire de quelques années, à condition que l’on crée en parallèle un vrai système éducatif avec des cours dispensés dès le plus jeune âge par des professionnels pour apprendre aux générations futures à maîtriser ces nouveaux outils ». Car ils sont venus indispensables. Arnaud le sait bien, lui qui forme « des plombiers et des boulangers » pour leur permettre de développer leur activité grâce aux réseaux sociaux. Pour Benoît Raphaël, expert en innovation digitale, on oublie « qu’ils sont aussi un outil formidable de partage des connaissances et d’accès au savoir ».
« Plutôt que d’interdire les mitraillettes… »
Pour lui le problème réside davantage dans «la perte de contrôle» que dans la technologie elle-même : «Le problème c’est que, contrairement aux jeunes pour lesquels tout cela est finalement assez naturel, la plupart des parents et des enseignants n’y comprennent rien. Alors, on veut interdire. Comme on a voulu interdire les jeux de rôles parce qu’il y a eu des suicides, ou les jeux vidéos parce qu’il y a eu des fusillades. Mais en réalité on ne se confronte pas au vrai problème de société: à savoir qu’est-ce qui pousse des jeunes au suicide. Et donc on ne le règle pas ! » Pour Benoit Raphaël « plutôt que de vouloir interdire à tout prix les mitraillettes, on ferait mieux d’éduquer les consciences. »