Monaco-Matin

Philippe, « une vie de poupée de chiffon »

- G. L.

Pour lui rendre hommage, NiceMatin a décidé de republier l’un des nombreux articles qui avaient été consacrés dans nos colonnes à Philippe et à son quotidien. Celui-ci est paru le 17 décembre 2014, alors que la famille venait de gagner en appel contre l’obstétrici­en. On sent dans la maison, plantée à flanc de coteau, sur une colline de Levens, une forme d’anarchie dictée par la vie. Dans le salon qui jouxte la cuisine, face à l’entrée, un canapé rouge en cuir élimé masque à peine la baignoire qui sert à laver Philippe. Depuis quatorze ans, il mène une vie de poupée de chiffon. Quand il se baigne, allongé sur le dos, assisté d’un soignant, Philippe fixe sûrement l’antique bécane, une Motoconfor­t, accrochée au mur du salon, au-dessus de la baignoire. Relique de l’époque d’avant « l’accident ».

« Méprisable »

Son père, Jean-Claude, a dû, d’un jour à l’autre, laisser tomber son métier d’artisan et bazarder sa Triumph Daytona et sa Norton Commando. « J’avais 44 ans, j’avais fait le choix d’attendre pour avoir mon premier enfant. Je ne pouvais pas imaginer qu’un sagouin allait travailler d’une manière aussi méprisable. » Jean-Claude raconte les premières heures de l’accoucheme­nt. L’insoucianc­e. Puis il dit la tension qui s’installe. L’infirmière qui avoue que cela ne se passe pas « comme

elle voudrait ». Et ce médecin, «furieux d’être appelé. Qui jetait des coups d’oeil furibards à la sagefemme ». Puis les paramètres vitaux qui dégringole­nt, vers 6 heures du matin. Des heures que l’option césarienne aurait dû être retenue. Avec dignité, Jean-Claude raconte le bruit,

« ter rifiant », des spatules qui lâchent. Fugacement, ses yeux disent l’horreur. Sans qu’il ait le temps de connaître les rires, les jeux, la tristesse pourquoi pas, et la douceur d’une peau maternelle que l’on embrasse, le destin de Philippe bascule. Il sort, au terme d’une césarienne trop tardive, « avec une tête au carré ». Il ne communique­ra jamais. Le calvaire de sa famille débute. Depuis, la maison aux murs flanqués de bouquins a mille fois été repensée pour accueillir le matériel. Une pièce jouxtant le salon au canapé de cuir rouge accueille le lit médicalisé. « On dort à côté. Il nous faut intervenir à tout moment en trente secondes, car Philippe peut faire une fausse route : il s’étouffe. Cela arrive trois à quatre fois par semaine. »

Une vie « bousillée »

Le quotidien de la famille, c’est une machine à laver de bavoirs chaque jour. Les lavages, les médocs, et le verticalis­ateur. Cet appareil, qui trône près de la cuisine, a un aspect effrayant, dérangeant, pour un étranger. Mais il maintient Philippe debout, quelques heures par jour. Ce sont aussi des allers et retours pour le

centre spécialisé Henri-Germain, à Saint-Antoine-Ginestière. D’intimité, Jean-Claude et Sandrine, sa femme, n’en ont pas, car les équipes soignantes se relayent en permanence. «Notre vie a été

bousillée. » Ses parents ont dit à Philippe la victoire devant les tribunaux. A-t-il compris ? « Je pense qu’il a senti, dans notre ton, le soulagemen­t, la sérénité. Ces sentiments le rassurent.» Aujourd’hui, Jean-Claude prépare la future maison, qu’il rénove. Plus fonctionne­lle, avec des rails au plafond pour lever le jeune homme, des rampes d’accès. La rente accordée pour payer le personnel soignant, à vie, viendra soulager la famille. Mais, en quittant le salon, le canapé en cuir rouge, la baignoire et le verticalis­ateur, on ne peut s’empêcher de penser à Philippe. Et à sa vie de poupée de chiffon.

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(DR) Philippe Giardina, enfant.

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