P. Larrouturou: «Mettre la finance au service du climat»
Avec son livre coécrit avec le climatologue Jean Jouzel, Pour éviter le chaos climatique et financier, Pierre Larrouturou a aussi lancé une campagne pour un traité européen sur le climat
La bonne nouvelle c’est qu’il n’est pas trop tard»: l’économiste Pierre Larrouturou reste résolument optimiste quant à la prise de conscience collective de l’urgence climatique. Avec le climatologue Jean Jouzel, il signe un livre (Pour éviter le chaos climatique et financier) et lance une campagne destinée à promouvoir un traité finance-climat dont dépend l’avenir de la planète. Comment un économiste et un climatologue arrivent à parler le même langage ? Nous vivons sur la même planète, sommes tous les deux pères de famille et tous les deux très inquiets pour nos enfants, qui vivront dans un monde invivable si on ne change pas de modèle au plus vite.
Ce n’est pas juste un livre que vous publiez, c’est une campagne que vous débutez… Oui. On se donne un an pour obtenir un traité européen qui permettra de rattraper le temps perdu pour lutter contre le réchauffement climatique. Le livre explique comment financer cette bataille fondamentale. Lancée dans plusieurs pays d’Europe, notre campagne a déjà le soutien de personnalités et plusieurs milliers de citoyens. Aussi bien le prince Albert de Monaco que la maire de Madrid, Manuela Carmela, élue grâce à Podemos, ou encore Pascal Lamy et le président de tous les syndicats européens… Tous s’engagent pour un traité européen qui mettrait la finance au service du climat.
Vous expliquez que, pour y parvenir, il faut mobiliser milliards par an… C’est la cour des comptes européenne qui le dit. Et ça tombe bien : depuis avril , la Banque centrale européenne (BCE) a créé milliards d’euros. Hélas, % de cet argent est allé à la spéculation. Nous voudrions que % de la création monétaire de la BCE aille dans l’économie réelle, pour financer des
économies d’énergie et les énergies renouvelables !
Le financement de votre plan s’appuie aussi sur la création d’une taxe sur les bénéfices. Il n’y a jamais eu autant de bénéfices mais jamais ils n’ont été aussi peu taxés : le taux moyen d’impôt sur les bénéfices est tombé à % en Europe, alors qu’il était à%ilyatrenteanset qu’il est de % aux États-Unis. Même en étant seulement de %, un impôt européen sur les bénéfices non réinvestis rapporterait chaque année milliards. Avec cette ressource, l’Europe pourrait payer % de tous les travaux d’isolation thermique nécessaires pour diminuer la production de gaz à effet de serre dans nos immeubles, nos usines, nos écoles… Avec cette contribution climat de %, l’Europe pourrait investir chaque année milliards en Afrique et dans le pourtour de la Méditerranée, et muscler
très nettement sa politique de recherche.
Ce plan finance climat serait aussi créateur d’emplois Clairement ! Il faudra commencer par isoler tous les bâtiments, publics et privés, qui sont aujourd’hui la première source de gaz à effet de serre. Inventer d’autres modèles de transports, développer les transports en commun. Changer notre modèle agricole (utiliser moins de produits chimiques et utiliser les économies ainsi réalisées pour embaucher). Développer les énergies renouvelables (biomasse, éolien, géothermie, solaire…). Dans ce livre, on montre tout ce qui bouge déjà et ce qui nous rend optimistes sur notre capacité à rattraper le temps perdu, si on change de braquet sur les financements. Au total, l’Agence de l’environnement et de la
maîtrise de l’énergie (ADEME) estime qu’on pourrait créer jusqu’à emplois, rien qu’en France. emplois, utiles et non délocalisables !
Cela fait déjà longtemps que l’on parle de lutte contre le réchauffement climatique, sans parvenir à mobiliser. C’est parfois quand on arrive tout près du précipice qu’on est capables d’un sursaut. En fin de compte, Trump nous a rendu service : ou bien on est vraiment borné, aveugle et cynique comme lui, ou bien on est du côté de celles et ceux qui se retroussent les manches… Quand vous voyez le patron de Total exiger une taxe sur le CO, personne n’aurait imaginé cela, il y a un an seulement. Tous les mois, Total achète une entreprise qui produit des énergies renouvelables. Le vent tourne.
Les pays européens, la France en particulier, ontils les moyens de financer cette transition énergétique ? Chaque pays, tout seul, non ! En Allemagne, la coalition « Jamaïque » a explosé car elle n’arrivait pas à financer la sortie du charbon. Mardi dernier, Emmanuel Macron a organisé un grand sommet pour imposer cette question du financement au centre du débat politique. Grâce au pacte finance-climat que nous proposons, la France aurait chaque année milliards à investir dans la transition énergétique. Dix fois plus que le budget actuel de l’environnement ! Tout le monde a conscience de l’urgence et aussi de la rentabilité à terme des investissements verts, mais personne ne sait comment amorcer la pompe. C’est pour cela que notre plan intéresse beaucoup de gens : en deux semaines seulement, il a recueilli le soutien des personnalités évoquées, mais aussi de milliers de citoyens sur notre site(). Ils y trouvent des argumentaires et peuvent devenir ambassadeurs de ce projet.
Dans ce contexte, le projet d’aéroport de NotreDame-des-Landes doit-il voir le jour ? Je n’engage que moi mais je pense que nous devons tous nous laisser bousculer par la gravité de la situation et changer nos comportements personnels et collectifs : prendre moins souvent l’avion, manger moins de viande… Ce projet a été conçu quand il n’y avait pas ce problème de climat, ni même le TGV ! Or, en TGV, on met deux heures depuis Nantes pour rejoindre l’aéroport Charles-de-Gaulle. Il serait plus cohérent d’améliorer l’existant plutôt que d’en construire un second.
Qu’avez-vous pensé de ce premier « One planet summit » ? La situation politique étant complexe en Allemagne, il a manqué une réponse européenne mais ce sommet montre qu’il y a une prise de conscience universelle de la gravité du dérèglement climatique. Même aux États-Unis, où Etats sur ont voté pour rester dans l’accord de Paris, Trump est minoritaire. Quand on voit personnes obligées de quitter leur domicile en Californie à cause des incendies de forêts – en décembre ! –, on ne peut plus nier la réalité. N’y avait-il pas un paradoxe à voir le Qatar ou les Émirats Arabes Unis autour de la table, alors qu’ils comptent parmi les pays les plus producteurs d’énergies fossiles? Ils se rendent compte eux aussi de l’urgence climatique et savent, par exemple, que les sécheresses dramatiques qui ont poussé des millions de personnes à migrer, sont une des causes de la guerre en Syrie… Pour éviter le chaos climatique, il faut financer un chantier colossal qui nous permettra de diviser par nos émissions de CO d’ici . Nicolas Hulot a préfacé notre livre et soutient notre démarche. Notre objectif est que l’Europe fasse la preuve « grandeur nature » que l’on peut vivre très bien en consommant moins d’énergie et en utilisant des énergies plus propres. Si nous montrons que c’est possible et que c’est même la source d’une prospérité nouvelle, le Japon, la Chine puis les USA suivront. On a un an pour gagner la bataille des idées : notre objectif est que, lors de la prochaine conférence sur le climat, en décembre en Pologne, notre appel ait rassemblé ou millions de signataires au moins. Sous l’autorité de Miguel Moratinos, ancien ministre espagnol, un groupe va rédiger le futur traité. Les chefs d’État n’auront plus aucune excuse pour ne pas le mettre en oeuvre avant .
Trump nous a rendu service”