Monaco-Matin

Le docteur Belletrud, le maire qui approvisio­nna en eau son village de Cabris

- ANDRÉ PEYREGNE

Le 19 juillet 1931, deux mille personnes se rendent au village de Cabris, au-dessus de Grasse, dans les Alpes-Maritimes. Elles viennent de tout le départemen­t, élus en tête, entourant le maire, le docteur Michel Belletrud. Un événement considérab­le va avoir lieu : l’inaugurati­on de la fontaine du village. Jusqu’alors l’eau potable arrivait quotidienn­ement par citernes à cheval, puisé au canal du Foulon au-dessus de Grasse. Il y a vingt ans que le docteur Belletrud voulait réaliser ce projet. Lorsqu’il était arrivé à la tête de la mairie, en 1911, il s’était promis d’amener l’eau et l’électricit­é à son village. Il fit arriver la seconde en 1921. Quant à la première, c’est elle qu’on s’apprête à accueillir en ce 19 juillet 1931.

À Pierrefeu, il dirige l’asile psychiatri­que

Qui est-il, ce bon docteur Michel Belletrud ? Il est né à Cabris en 1856. Il a accompli ses études de médecine à Montpellie­r. Entre 1896 et 1914, il a été médecin puis directeur de l’asile psychiatri­que de Pierrefeu dans le Var. Son humanité et ses théories médicales ont laissé de si La fontaine du village (ci-dessus) a été inaugurée le  juillet . Toute la population de Cabris (ci-contre) attendait cet événement depuis vingt ans. Michel Belletrud, le maire dont le nom reste attaché à un canal.

bons souvenirs qu’un bâtiment de l’hôpital porte toujours son nom. Pour amener l’eau à son village de Cabris, il a décidé de construire un canal depuis les monts alentour. Il élabore un premier projet en 1912. La Grande Guerre y met un terme. Tout reprend en 1920. L’ambition du bon docteur a alors augmenté : il envisage maintenant d’irriguer tout le haut pays de Grasse et entraîne derrière lui les villages de Saint-Cézaire, du Tignet, de Spéracédes et de Peymeinade.

Le docteur se souvient que deux millénaire­s plus tôt, les Romains avaient trouvé aux sources de la Siagne, près du village de Mons, dans le Var, l’eau qui alimentera­it la ville de Fréjus (voir notre édition du 15 octobre).

Un syndicat rachète la source de Mons

Il ne peut moins faire que les Romains ! C’est à Mons, lui aussi, qu’il va décider d’aller capter l’eau, à une source annexe de la Siagne, appelée source de la Pare. Le syndicat des cinq communes achète en 1926 cette source au village de Mons. En 1928 l’État autorise la constructi­on du canal. Les travaux débutent en 1929. Au bout de deux ans, quatorze kilomètres de canalisati­on en fonte ont été construits, franchissa­nt sept tunnels dont un de plus d’un kilomètre. Un travail considérab­le, mené de main de maître, malgré les embûches, les intempérie­s, les contrainte­s géologique­s. Et nous voici au 19 juillet 1931. On se masse sur la Place Chauve où se trouve la fontaine alimentée par le canal. Les personnali­tés transpiren­t dans leurs complets noirs, les femmes s’abritent sous leurs chapeaux Belle Époque. Soudain le silence se fait. Le député-maire de Grasse Jean Ossola s’avance. C’est lui qui va procéder à l’arrivée de l’eau Tout le monde retient son souffle. Il se penche au-dessus de la grande clé verticale qui commande la vanne. Il la tourne. Et, tout à coup, l’eau jaillit, tel un geyser. Un tonnerre d’applaudiss­ements éclate. Le docteur Belletrud avait réalisé là, l’oeuvre de sa vie. Son travail d’Hercule. Sa biographie est parue aux éditions Serre, écrite par l’astronome niçois Michel Froeschlé. Le docteur Belletrud est mort en 1934. Mais son nom demeure. Il est désormais porté par son canal : le « canal Belletrud ».

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