«Importuner est un mot courant de mon vocabulaire»
En signant la tribune sur la «liberté d’importuner», Sophie de Menthon s’est trouvée confrontée à de violentes attaques, de féministes notamment. Elle a accepté de répondre à nos questions
En signant la tribune parue mercredi dernier dans le journal Le Monde, sur «la liberté d’importuner », la présidente du mouvement Ethic (Entreprises de taille humaine, indépendantes et de croissance) Sophie de Menthon ne s’attendait pas à susciter une telle polémique, ni ce déferlement de violences verbales. Pour comprendre la démarche de celles qui s’élèvent contre ce qu’elles qualifient de « puritanisme » et de menace sur la liberté sexuelle on a demandé à la chef d’entreprise de bien vouloir répondre à nos questions.
Pourquoi avez-vous signé cette tribune ? Je pense qu’elle soulève un vrai sujet de société. Notre société a complètement cassé les codes : nous avons aussi bien des ados de ans exposés au porno que de l’Internet sans contrôle, une perte du savoir-vivre incroyable. Nous avons été les initiateurs de l’amour courtois et les féministes disent aujourd’hui qu’il faut se débarrasser de la galanterie car c’est un poison qui assujettit les femmes… Tout cela menant aussi à la théorie du genre. C’est profondément contraire à mes convictions.
Le texte défend la « liberté d’importuner »... Cette formule mérite d’être nuancée sauf qu’aujourd’hui, il n’y a pas de place pour la nuance. Or, qu’est-ce qu’être importunée aujourd’hui ? Je l’ai déjà été, par un homme qui me faisait la cour assidûment, ou un collègue de bureau qui m’attendait le soir avant de partir… Je suis importunée toute la journée par le fisc, le bruit, parce que l’on entrave ma liberté… C’est un mot relativement courant de mon vocabulaire. Cela n’a rien à avoir avec ce que je considère comme du harcèlement. Mais certaines femmes considèrent qu’être importunée c’est être harcelée.
Mais n’est-ce pas une entrave à la liberté de la femme que de « l’importuner » ? Ce que vous dîtes est intéressant parce que cela pose effectivement un débat de société. Regardez les ÉtatsUnis, le Canada, où les relations y sont devenues très aseptisées. Dans les entreprises aux États-Unis, la porte du bureau doit être ouverte quand il y a un homme et une femme. On ne peut pas considérer par ailleurs que % des femmes sont éthiques et que % des hommes ne le sont pas !
Avez-vous le sentiment que dans ce débat, on ne retient pas l’essentiel ? Effectivement. J’ai signé pour que l’on ouvre le débat et que l’on discute des vraies problématiques qui se posent à nous aujourd’hui, comme former les garçons sur la norme sexuelle quand il a ans et qu’il a vu du porno par exemple. Ou bien apprendre à nos filles qu’elles ne peuvent pas se promener en minijupe ou en short avec des talons, parce qu’elles risquent d’être agressées...
Mais n’est-ce pas là-dessus que la société, l’État, doivent travailler : pour que les jeunes filles, jeunes femmes, n’aient pas peur de sortir en minijupe ? Il faut travailler des deux côtés. N’oublions pas que nous sommes face à un choc des civilisations en France. Beaucoup d’hommes considèrent que leurs femmes doivent être cachées aux yeux des autres. Doit-on le prendre en compte ou pas? Doit-on laisser son enfant prendre le risque
d’être agressée parce qu’elle porte une minijupe ou un décolleté? Pour moi c’est non: elle met un manteau par-dessus. Faut-il éduquer les garçons en leur disant qu’ils n’ont plus le droit de regarder une femme ? Est-ce que les femmes ne s’habillent pas comme ça aussi pour attirer le regard des hommes ? Je pose la question… Oui, on peut regarder les femmes, leur sourire leur dire qu’elles sont jolies, mais quelle est la limite ? Ne faut-il pas apprendre aux hommes qu’ils ont le devoir de réagir lorsqu’ils voient une femme être agressée ? C’est tout cela dont il me semble important de débattre.
Là, c’est avant tout un problème de société. Et c’est ce que j’ai voulu signer ! C’est un problème de rapports humains dans la société. Je veux personnellement que ces rapports restent « normaux » entre hommes et femmes, que l’on ait le droit de draguer, mais que les excès soient gommés, qu’il y ait une prise de conscience et une éducation. Certaines des signataires ont tenu des propos particulièrement choquants(). Je désapprouve complètement ces propos. J’ai signé une tribune qui me semblait mesurée, pour essayer de trouver une solution à un problème de société. Après, les commentaires qui ont été faits par certaines autres signataires, je ne les cautionne pas.
Les « excès » dont vous parlez, n’étaient-ils pas nécessaires ? Le problème c’est que là, ça prend des proportions démesurées. Le balancier va trop loin. Et puis, j’ai horreur de la délation. Le «#balancetonporc » me semble très violent. Que les femmes s’expriment oui bien sûr, Et plutôt deux fois qu’une. D’ailleurs, j’ai envoyé une lettre demandant à tous les patrons de mon mouvement d’être très attentifs aux problèmes de harcèlement possible dans l’entreprise. C’est cela le bon boulot je crois.
Vous voulez en fait que la femme dépasse la victimisation dont elle fait l’objet ? Je veux que la femme effectivement, reprenne le pouvoir, qu’elle n’ait plus peur de dire ce qui lui est arrivé, qu’elle n’ait plus peur de revendiquer un salaire égal, qu’elle soit courageuse. Or j’ai l’impression qu’elles sont victimes des féministes… Je ne veux pas de femmes victimes. Je plains de tout mon coeur celles qui sont battues, harcelées etc., mais il faut que la femme redresse la tête dans la société française. Cela fait partie de la nouvelle conquête de la femme. La Française est épanouie, elle est bien dans sa vie, elle était un modèle… Cet article a eu beaucoup d’écho au niveau européen car l’émancipation de la femme est un problème mondial, et la masculinisation, les pulsions sexuelles des hommes (à cause de la pornographie), d‘une nouvelle forme de liberté des femmes se sont transformés en une violence contre laquelle il faut lutter très fermement.
Grivoiserie, drague, harcèlement : où se situe la limite à ne pas dépasser ? C’est très individuel. Vous pouvez être très choquée par un comportement quand d’autres vont en rire et vont l’oublier le lendemain. Mais je conçois que des femmes puissent être totalement traumatisées. En ce qui concerne les rapports de hiérarchie en revanche, je suis intransigeante. Je ne veux plus qu’aucune femme, sous aucun prétexte, ne soit obligée de céder à un supérieur !
C’est quoi, pour vous, la liberté sexuelle au XXIe siècle? Je vais être totalement ringarde : la liberté sexuelle pour moi c’est la liberté d’une attirance mutuelle, qui mène même à l’amour. Trop de liberté sexuelle tue une sexualité épanouie, chacun doit se comporter avec sa propre morale, ses propres sentiments, sa propre dignité. Je pense que le consentement est absolument obligatoire. Mais ce consentement n’est pas un blancseing. Les femmes sont très complexes : il y a chez elles un côté fleur bleue immémoriale, et une liberté sexuelle pas toujours facile à concilier. Je crois qu’il faut apprendre, faire de la pédagogie pour s’adapter à un monde nouveau dans les relations humaines. Et puis surtout – et c’est la première des choses –, la liberté sexuelle s’arrête dès que la liberté est agressée.
1. Entre autre, l’auteure Catherine Millet a déclaré regretter de ne pas avoir été violée pour apporter la preuve que l’on peut s’en relever. Brigitte Lahaie a, elle,, déclaré que l’on pouvait jouir lors d’un viol.
La liberté sexuelle s’arrête dès que la liberté est agressée”