Garant de la justice
Les magistrats s’inquiètent d’une décision du nouveau directeur des Services judiciaires de ne plus renouveler les magistrats français détachés en Principauté. Laurent Anselmi répond ici
Dans un entretien exclusif, Laurent Anselmi, le nouveau directeur des Services judiciaires, expose ses projets. Il assure que la justice est indépendante à Monaco. Il répond aussi à l’inquiétude des magistrats.
Ya-t-il le feu au Palais de justice de Monaco? Presque cinq mois après le départ à la retraite anticipé de Philippe Narmino, l’ex-directeur des Services judiciaires de la Principauté, éclaboussé par l’affaire Rybolovlev-Bouvier, et la nomination de son successeur, Laurent Anselmi, que se passe-t-il sur le Rocher, dans les couloirs de la maison judiciaire ? Ces questions se posent d’autant plus ouvertement qu’une inquiétude se manifeste de moins en moins discrètement chez les magistrats. Depuis quelques jours, elle prend même la forme de courriers anonymes, adressés à la rédaction de MonacoMatin. Morceaux choisis : « Deux magistrats français détachés à la cour d’appel de Monaco, réputés pour leur compétence, leur rigueur et leur indépendance, seront bientôt remerciés par le nouveau directeur des Services judiciaires, Laurent Anselmi»; « L’épuration continue, cette fois à grande échelle»; «L’objectif: désarticuler la cour d’appel et remplacer ces magistrats par des juges plus dociles choisis par Laurent Anselmi pour éteindre l’incendie qui menace tous les étages du Palais ». En cause, une décision de Laurent Anselmi de mettre fin au renouvellement possible de trois ans des magistrats français détachés à Monaco, dans le but, explique ici le patron de la justice monégasque, d’éviter toute suspicion. Entretien. Si l’on prête l’oreille aux rumeurs, le juge Levrault, qui instruit le volet monégasque de l’affaire Rybolovlev-Bouvier, ferait partie des magistrats qui ne seraient pas renouvelés, afin d’étouffer le dossier… Partons de ce que dit le droit : une convention datant de , entre la France et la principauté de Monaco, traite la question du détachement des fonctionnaires. Elle indique : « Sauf stipulation contraire par les conventions en vigueur entre les deux États, la durée de ces détachements est de trois ans, renouvelable une fois.» C’est clair. Au bout de trois ans, les compteurs sont remis à zéro et les parties décident de ce qu’elles vont faire.
Quelles sont les habitudes ? Les magistrats sont généralement renouvelés. Mais le fait de ne pas renouveler un détachement est conforme à l’accord, au droit, et ce n’est pas contestable. Pourquoi j’ai voulu un changement de pratique ? Parce que les standards européens de l’État de droit en matière de justice évoluent. Deux cas de figure à Monaco. Les magistrats du siège, qui rendent des décisions, sont soit sans mandat déterminé – c’est le cas des Monégasques, et ils sont alors inamovibles ; soit leur mandat est à durée déterminée – ce sont ici les magistrats français détachés. Dans ce cas, le standard international consiste à ne pas les renouveler. Pour une raison simple : le principe du procès équitable, posé par la Convention européenne des droits de l’Homme, suppose
aussi l’apparence de l’impartialité. Quand un magistrat a un mandat déterminé, on ne doit pas pouvoir présumer qu’on l’a renouvelé parce qu’il a été servile ou qu’il a fait ce que l’autorité de nomination attendait de lui. La Cour européenne des droits de l’Homme a fait exactement la même chose en . Et chez nous, en avec le Tribunal suprême. Cet ensemble de considérations m’a conduit, dans le parfait respect du droit, à ne plus procéder à des renouvellements de détachements. C’est indépendant de la personne, de tel juge ou de tel autre. Y compris les magistrats qui instruisent l’affaire Rybolovlev-Bouvier et ont conduit au départ de Philippe Narmino… Le terme de deux magistrats arrive en septembre prochain. Ce sont des conseillers à la cour d’appel. Ils ont été avertis en
décembre . D’autres arriveront à l’automne . Edouard Levrault sera concerné en octobre . D’ici là, il aura largement le temps de terminer son instruction. Sans compter que l’instruction est également menée par Morgan Raymond, un juge monégasque inamovible. Encore une fois, cette décision ne vise pas un juge en particulier, c’est un cadre général. Comprenez-vous l’inquiétude des magistrats? Le fondement de cette démarche est incontestable. Le non-renouvellement des magistrats « à temps » est aujourd’hui un standard européen, tiré des principes de la Convention
européenne des droits de l’Homme. Peut-être que certains aspiraient à rester ici six ans… L’indépendance de la justice est aussi l’indépendance de son administration. Je suis l’apôtre de l’État de droit et pour le total respect de l’indépendance des magistrats du siège. Mon parcours le prouve. Ce n’est pas à ans, en devenant directeur des Services judiciaires, que je vais commencer à faire des magouilles à la petite semaine. Après, les fantasmes et la désinformation, je n’y suis pour rien.
Souhaitez-vous rallonger la durée du détachement des magistrats français ? Nous allons mettre en place un plan de formation à vitesse grand V, ce qui n’a jamais été fait, afin d’injecter aux magistrats français détachés une dose massive de droit monégasque. L’idée est qu’ils soient opérationnels le plus vite possible. En outre, j’ai pensé effectivement à une durée unique plus longue. Cela suppose une renégociation des accords, ce qui n’est pas de mon ressort. Je peux juste l’appeler de mes voeux. Cela me semble souhaitable. Quatre ans, ce serait un bon format. Était-il opportun de prendre cette décision dans le contexte actuel? Il est toujours opportun d’adopter les bonnes pratiques le plus tôt possible. Je n’aurais jamais imaginé que l’on me fasse ce procès d’intention. C’est trop machiavélique pour moi. J’aurais fait ça pour matraquer une personne en particulier ? Soyons sérieux. N’oubliez pas que dans cette affaire, un juge d’instruction monégasque est là aussi. Je chercherais un juge plus docile ? Pour quoi faire ? Les juges qui nous sont proposés par la Chancellerie, je ne les connais pas ! Il est inconcevable d’imaginer que je puisse rechercher un juge docile. Je suis un militant de l’État de droit, j’ai fait ça toute ma vie, et je continue.
La justice est-elle indépendante à Monaco ? Mon rôle est de m’abstenir de toute intervention. Et je vous garantis que je le fais. Jamais je me suis permis et jamais je me permettrais de dire quoi que ce soit à des magistrats sur la conduite d’une affaire. J’ai aussi un rôle de protection des fonctionnaires. Si un magistrat est attaqué, je suis son bouclier. Alors oui, la justice est indépendante à Monaco !
Je n’aurais jamais imaginé un tel procès d’intention ”