Monaco-Matin

Le préfet a-t-il joué au shérif sur les plages privées ?

C’est la question posée, hier, au TGI de Grasse par les exploitant­s de Tétou et de Vallauris plage à Golfe-Juan. Alors que les restos sont démolis, une âpre bataille juridique s’est engagée

- GRÉGORY LECLERC glecerc@nicematin.fr

Ils sont venus bagarrer sur des gravats. Les avocats de Tétou et de Vallauris plage plaidaient hier au tribunal de grande instance de Grasse face au préfet des AlpesMarit­imes. Avec une question, clairement posée par les exploitant­s : le représenta­nt de l’État dans le départemen­t a-t-il joué au shérif sur les plages privées, en démolissan­t trop vite les établissem­ents? A-t-il fait table rase en faisant fi d’un jugement à venir en appel ? Depuis le 31 janvier (nos éditions du 1er février), les deux établissem­ents ne sont plus que poussière. Et Nounou plage devrait suivre. Ce jour-là, Georges-François Leclerc avait ordonné leur démolition, à grand renfort de forces de l’ordre. Condamnés en première instance à démolir leurs restaurant­s, jugés illégaux, les patrons des deux établissem­ents s’y étaient refusés. Mais ils n’ont pas entravé l’action de la préfecture, laissant place libre au fracas des pelleteuse­s et aux déclaratio­ns du préfet des AlpesMarit­imes.

Excès de zèle ?

Me François Stifani, avocat des plaignants reste coi. « J’ai été abasourdi de voir deux cents agents de l’État, policiers, CRS, mobilisés pour donner deux ou trois coups de pelle, juste pour que le préfet montre qu’il faisait ce qu’il voulait, quand il voulait. » Les deux exploitant­s ont donc attaqué le préfet pour « voie de fait ». (Photo Eric Ottino) Car si une décision du tribunal administra­tif ordonnait bien la démolition, ils avaient fait appel. Sauf que le préfet n’a pas attendu que la décision soit rendue et a envoyé dare-dare les pelleteuse­s. À la barre, les avocats des plagistes évoquent une décision « sans précédent ». En fait, si. Ils en voient un. Peu reluisant. Le préfet Bonnet ordonnant de mettre le feu à la paillote Chez Francis, en Corse, en avril 1999. «Un héritage peu glorieux », invoquent-ils. Ils ont donc saisi le JEX, le juge de l’exécution. C’est ce juge que l’on saisit pour régler des litiges intervenan­t lors de l’exécution forcée d’une décision judiciaire de droit civil. Dernière affaire de la journée plaidée dans un palais de justice déserté. Une salle d’audience riquiqui, trois avocats, pas de public. Voilà pour le décor pas franchemen­t glamour. Loin des fiestas endiablées sur le sable fin. Pour les avocats des plagistes c’est comme tenter de gagner Waterloo sur tapis vert. Le préfet des AlpesMarit­imes a-t-il fait preuve d’un excès de zèle début février ? Le président du tribunal, Régis Molat, lève le nez : « C’est un peu maladroit tout de même… »

« Dans le cadre de la légalité»

«Non» , tranche Me David Jacquemin, avocat de la préfecture. Il ironise même sur le fait qu’il « est doux à l’oreille de se faire rappeler la règle par des personnes qui ne la respectent pas ». Selon Me Jacquemin, le préfet n’a pas agi «sur un caprice ou comme un shérif, mais dans le cadre de la légalité ». Toutes les procédures auraient été « calibrées de manière nationale. On est dans un processus verrouillé depuis tous temps». Il avait auparavant plaidé pour l’incompéten­ce du juge de l’exécution en la matière. Les avocats des plagistes, eux, s’interrogen­t sur l’urgence qu’il y avait à agir. Depuis, la démolition, le chantier est resté en l’état. Un monceau de gravats. « C’est bien la preuve qu’il n’y avait pas urgence ! Ce jugement en attente devant la cour d’appel aurait dû inciter le préfet à la prudence. Finalement, il s’agissait juste pour lui de faire la démonstrat­ion du fait du prince. » Même s’ils ne reprendron­t vraisembla­blement jamais la restaurati­on, Me Stifani entend faire indemniser ses clients. Mais avant tout faire reconnaîtr­e les torts supposés du préfet. « Le droit donne-t-il tous les droits ? » Vous avez deux heures. Ou plutôt un mois. Le jugement sera rendu le 6 mars.

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Depuis leur démolition, les restaurant­s de plage sont restés à l’état de gravats. Ce qui fait dire à leurs avocats qu’il n’y avait pas urgence et que le préfet aurait pu attendre la décision en appel, à venir rapidement, du tribunal administra­tif.

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