« Un arbitre ne peut répondre à la violence par la violence »
L’affaire de « l’arbitre vengeur » l’a laissé « bouche bée ». Stéphan Luzi, président départemental de l’Union nationale des arbitres de France, condamne les incidents survenus samedi à Nice
En trente ans de carrière d’arbitre, je n’ai jamais vuça!» Stéphan Luzi est encore sous le choc. Stupéfait par la réaction irresponsable qu’aurait eue l’arbitre d’un match de jeunes, samedi, quartier La Lauvette à Nice-Est. Cet arbitre, échaudé par les critiques des parents autour du stade Hairabedian, serait revenu en découdre avec une quinzaine d’agresseurs, pour une distribution générale de coups (voir nos éditions d’hier). « Intolérable » pour Stéphan Luzi. Président départemental de l’Union nationale des arbitres de France (Unaf 06), il est aussi formateur au District Côte d’Azur. Cette instance attend de faire toute la lumière sur les incidents de samedi, avant d’envisager des sanctions contre l’arbitre incriminé. Sans vouloir brandir trop vite le carton rouge, Stéphan Luzi condamne fermement les faits. Un coup de sifflet fort, pour un coup d’arrêt aux dérives.
Que savez-vous des graves incidents survenus samedi au stade Hairabedian ? Comme vous, et comme tout le monde, j’ai été totalement surpris par ces agissements. Je suis resté bouche bée... Si les faits sont avérés, c’est très grave. C’est du jamais vu ! C’est à la fois inquiétant et révélateur du contexte de violences dans lequel baignent les arbitres tous les week-ends sur les terrains azuréens. Une certaine pression qui s’exerce autour du terrain. Un sentiment d’irrespect. Mais si un arbitre réagit ainsi, ce n’est surtout pas ce qu’on lui dit de faire ! Nous ne pouvons pas soutenir une telle réaction. Nous sommes même à l’opposé d’un tel comportement. Un arbitre représente la loi, la règle ; en aucun cas, il ne peut réagir comme cela. C’est intolérable.
Quelles consignes donnezvous aux autres arbitres ? Nous demandons avant tout à un arbitre d’être mesuré. Nous sommes protégés par la loi Lamour. On ne peut pas répondre à la violence par la violence, ce n’est pas possible ! Nous dénonçons donc de telles actions. Nous sommes pour la discussion avec les dirigeants, le milieu du football, certainement pas pour l’affrontement... Ça, c’est quelque chose qui dépasse le cadre du football.
Connaissez-vous l’arbitre incriminé ? Pas personnellement. Il fait partie des jeunes arbitres qui manquent d’expérience. Son geste tient, selon moi, davantage d’une méconnaissance de la déontologie de l’arbitre que d’un acte réfléchi.
Un arbitre qui débute n’estil pas censé être épaulé ? En général, les jeunes
arbitres qui débutent sont accompagnés pour leur formation. Mais celle-ci est totalement théorique. Il était sans doute en phase d’apprentissage, mais il n’a malheureusement pas bien compris le rôle d’un arbitre.
Si les faits sont confirmés, c’est la radiation assurée ? Je ne veux pas me prévaloir de la décision des instances. Nous aurons bien sûr un oeil attentif là-dessus. Je pense
que le District, une fois pris connaissance des rapports de l’accompagnateur et de l’arbitre, va le convoquer rapidement et appliquer le barème de sanctions prévues. Car les arbitres sont soumis à un code de déontologie et peuvent être sanctionnés, comme n’importe quel joueur ou dirigeant. C’est un cas très grave qui sera jugé par la commission de discipline. Or on sait qu’un arbitre qui réagit comme ça ne remplit pas sa mission d’arbitre. Protéger le jeu, permettre à une rencontre de bien se passer. Un match est un moment de convivialité ; en aucun cas, cela ne doit se transformer en bataille de rue ! Nous apprenons à un arbitre à garder ses nerfs, à éviter que la situation ne s’envenime. Même si nous sommes pas mal conspués sur les terrains de jeunes par des parents, cela reste un match de foot... Ce n’est pas donné à tout le monde, d’être arbitre. On ne peut pas donner un sifflet et un écusson à quelqu’un qui veut faire sa propre loi ! Cela dit, même si les faits sont choquants, cela reste un cas isolé.
Au-delà du climat délétère autour des terrains, cette affaire traduit-elle une difficulté à recruter des arbitres fiables pour ces matchs de jeunes ? Vous avez mis le doigt sur le problème n°. Aujourd’hui, c’est difficile de recruter, de former et de fidéliser des arbitres. Le rôle des clubs est de repérer et sensibiliser certains jeunes qui auraient le potentiel pour le devenir. Certains clubs le font très bien, mais ils ne sont pas majoritaires. Bien souvent, ces jeunes viennent à l’arbitrage par eux-mêmes... Ensuite, il faut qu’ils se sentent en sécurité. Et nous, on ne sait pas toujours ce qui se passe au bord du terrain. Il faut que le grand public soit aussi conscient de cela : ce n’est pas facile, pour un jeune, d’aller sur un terrain arbitrer gars avec du monde autour. Souvent, il faut savoir gérer des situations de crise. C’est malheureusement le reflet de la société : être arbitre est compliqué, comme il est compliqué d’enseigner ou d’appartenir aux forces de l’ordre. Le foot subit cela.
Quand des pros dérapent, leur mauvais geste peut faire des émules chez les amateurs. Pensez-vous que la récente affaire Tony Chapron ait pu jouer ici () ? Je ne sais pas. Je ne le pense pas, même si certains y verront un lien de cause à effet. Ce sont deux cas isolés, des situations et des personnes complètement différentes. En l’occurrence, je pense que ce jeune s’est senti blessé dans sa fonction, a craqué et a réagi par la violence. Alors que, bien sûr, celle-ci est à bannir.