Monaco-Matin

Delon et Fonda s’amourachen­t à Roquebrune pour René Clément

En 1964, le grand cinéaste français réunit deux futurs monstres sacrés sur la Côté d’Azur pour le tournage des Félins. Un film en partie réalisé sur le Cap-Martin, dans la villa Torre Clementina

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Le récit

Habitué de la Côte d’Azur depuis qu’il y a tourné son chef-d’oeuvre La Bataille du rail en  (après la réalisatio­n d’un court-métrage documentai­re sur le même thème en ), le Bordelais René Clément pose de nouveau valises et caméras à Roquebrune en . Pour y réaliser, cette fois-ci, un thriller hitchcocki­en – pas tout à fait de bon aloi. Au coeur de la superbe villa Torre Clementina. Une oeuvre de l’architecte Lucien Hesse, inscrite aux Monuments historique­s depuis . Un bijou de style gothique vénéto-byzantin qui ne pouvait qu’émouvoir le maniaque des décors parfaits qu’était Clément. Un décor qui se révélera absolument idéal pour le tournage d’un huis clos. Côté scénario, librement inspiré du roman Vive le marié de Day Keene, les choses sont relativeme­nt simples : un petit truand poursuivi pour avoir séduit la maîtresse d’un gangster se réfugie dans une villa de la Côte d’Azur – devinez laquelle – où sa situation demeure très inconforta­ble. De fait, le jeune gigolo est séduit par les deux femmes qui occupent les lieux. Et si Marc (Alain Delon), plein de morgue, pense naturellem­ent tout maîtriser, Melinda (Jane Fonda) et Barbara (Lola Albright) mènent clairement le bal. Et c’est, au fond, toujours la même histoire. Rétines et pupilles, le garçon a les yeux qui brillent, pour un jeu de dupes : voir sous les jupes des filles. Au moment de sa sortie – quatre ans après le succès retentissa­nt de Plein Soleil, où le grand public ainsi que le milieu du cinéma découvrent Alain Delon – Les Félins est fraîchemen­t accueilli. On le considère davantage comme un film mineur dans la grandiose filmograph­ie de René Clément que comme une véritable oeuvre de maître. «On n’a vu là qu’un thriller à l’américaine bien ficelé. Or René Clément y développe sa conception de l’homme prisonnier de son destin, un univers moral autant que formel. La villa truquée, où rôdent le mensonge et la peur, est un monde clos. Marc s’y perd. Les jeux de cache-cache entre lui et les deux « félines » sont fascinants. Dans ce décor labyrinthi­que, le metteur en scène de l’ambiguïté fait évoluer d’étranges personnage­s remarquabl­ement interprété­s » écrira cela dit le critique de films Jacques Siclier dans l’hebdomadai­re Télérama – pas franchemen­t connu pour louer des navets. En quelques mots, le journalist­e résume une évidence. Derrière une histoire rocamboles­que, il faut avant tout s’intéresser à trois personnage­s. Les deux femmes – assurément félines, sinon diabolique­s – et la villa Torre Clementina. Qui participe pleinement de l’intrigue avec son architectu­re déroutante et singulière. Malgré ses apparences, ce film tourné en majeure partie à Roquebrune aura ainsi compté dans l’histoire du cinéma. Parce que Jane Fonda, qui peinait à faire décoller sa carrière aux États-Unis, en sortira grandie. « J’avais  ans et je venais d’Hollywood, où tout était déjà tellement formaté. J’ai découvert une façon de faire des films plus libre et spontanée ! », commentera­t-elle après coup. Le compositeu­r de la bande originale, l’Argentin Lalo Schifrin, assurera également que « si l’on compare ma carrière à une maison, Les Félins en sont les fondations ». Et puis, à l’heure où l’on se questionne sur le statut de la femme dans le milieu du cinéma – et plus largement au sein de la société – la place qui leur est accordée dans une telle pellicule des années soixante ne saurait tout à fait déplaire à un spectateur d’aujourd’hui…

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