«La grève sera massive»
Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT, est venu hier à Nice rencontrer les cheminots de la puissante section locale. Il évoque la bataille du rail qui s’annonce avec le gouvernement
Il n’a pas attendu l’aube pour venir saluer les agents SNCF sur le pont, dès 5 h 30 du matin hier, en gare centrale de Nice. Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT, a répondu à l’invitation de sa puissante section locale cheminots. L’occasion d’échanger, avant la bataille du rail qui se profile du 3 avril au 28 juin. L’intersyndicale CGT-CFDT-Unsa-Sud prépare une inédite grève « perlée » – deux jours sur cinq – contre le projet de réforme de la SNCF. Le leader syndical s’en explique pour Nice-Matin. Êtes-vous là pour galvaniser vos troupes avant la bataille du rail ? Ils n’ont pas besoin de moi pour être galvanisés ! Je vais chaque semaine dans une entreprise voir les équipes syndicales. Il se trouve qu’il y a une actualité. Motivés, ils le sont. Et ils ont des solutions, qui ne correspondent évidemment pas au projet du gouvernement…
Quel constat retenez-vous de cette escale niçoise ? J’ai vu des gens présents dès h du matin pour faire fonctionner les trains, des salariés en transit loin de leur famille… Tout ce qui ne se voit pas. Tout ce que ne dit pas le gouvernement. Je vois aussi qu’il faut moderniser du matériel vieillissant au poste de régulation. Les salariés doivent compenser par leur expérience le manque d’investissement. Alors, quand j’entends parler de « privilégiés »
La retraite à ans, ce n’est pas donné à tout le monde, non ? La retraite à ans, c’est un leurre. Idem pour les salaires : ce sont des légendes ! Le salaire moyen – ce qui ne veut pas dire grand-chose –, c’est autour de euros brut. Mais selon les professions, c’est souvent , net… Et les problèmes de la SNCF n’ont rien à voir avec le statut des cheminots. Le trafic TER est souvent perturbé dans les Alpes-Maritimes. Est-ce symptomatique de ces difficultés et du besoin de la réformer ? Bien sûr. C’est symptomatique du manque d’investissement sur les « petites lignes » – qui sont de grandes lignes pour l’usager qui les emprunte. Il y a un problème de trafic, de voies qui mériteraient d’être doublées ici. On se heurte aux stratégies des gouvernements précédents, auxquels le président de la République et la ministre des Transports ont appartenu. Ils sont comptables de cette situation.
La Région Paca se veut pionnière sur l’ouverture à la concurrence. Un mauvais signal à vos yeux ? D’abord, rien n’oblige à s’ouvrir à la concurrence. Ensuite, je veux que le président de Région ou le maire de Nice m’explique en quoi passer au privé va être bon pour les usagers ! On a privatisé les autoroutes : est-ce moins cher ? Pour la SNCF, il faut que l’État joue son rôle… Ce qu’il n’a pas fait depuis des décennies.
Vous parlez de privatisation mais Édouard Philippe, lui, assure que la SNCF ne sera pas privatisée… J’ai connu des tas de ministres et de patrons qui disaient : « Jamais on ne privatisera.» L’expérience nous montre qu’on a raison de ne pas les croire ! Un exemple : M. Spinetta, l’auteur du rapport sur la SNCF. Il était patron d’Air France… devenue une entreprise privée. Une grève de deux jours tous les cinq jours, c’est du jamais-vu. Vous avez décidé d’innover ? C’est du déjà-vu, mais pas à l’échelle nationale. C’est une façon de mieux mobiliser, de montrer le mécontentement des cheminots, de garder le lien avec les usagers, sans impacter trop lourdement les salariés en grève. Contrairement à des idées mensongères, on n’est pas payé quand on fait grève.
Cette grève sera dure ? Elle sera massive, au vu du niveau de mécontentement constaté depuis plusieurs semaines. Concrètement, comment va se traduire l’impact sur les clients ? Ça, c’est de la responsabilité de la direction de la SNCF.
Le gouvernement entend limiter les ordonnances aux seuls sujets « techniques », sauf si ça coince. Il vous met la pression ? Le gouvernement a une stratégie qui consiste à dire : « On veut bien discuter si vous êtes d’accord avec nous ! » Il n’ouvre pas la porte aux négociations. Il impose le menu.
Selon un récent sondage Odoxa, deux Français sur trois jugent la grève injustifiée. Craignez-vous d’avoir l’opinion contre vous ? Les Français ont besoin d’explications. Car cette grève est avant tout pour les usagers. Pour l’instant, les sondages ne portent que sur le statut des cheminots.
Parce qu’il s’agit là de la principale pomme de discorde… Non, non ! La pomme de discorde, c’est l’ouverture à la concurrence, c’est le changement de statut de l’entreprise – porte entrouverte vers la privatisation –, c’est le transfert des responsabilités aux Régions… Le statut des cheminots n’est pas le problème principal.
Édouard Philippe ne veut pas toucher aux km de lignes ciblés par le rapport Spinetta. Pensez-vous que certaines sont néanmoins menacées ici ? Évidemment. Il n’a pas écarté cette possibilité : il a dit que ce serait aux Régions de gérer. Des Régions moins bien dotées de la part de l’État… C’est finement joué en matière de communication.
milliards de dettes, de plus dans dix ans en cas de statu quo, il y a bien urgence à réformer ? On est favorable à la réforme, on le dit depuis des années. On lui a même donné notre projet de réforme (). Il faut mieux répartir les investissements, notamment sur les lignes dites secondaires. La dette est la conséquence de choix politiques : on a tout investi dans le TGV, ce qui y a contribué.
Craignez-vous que l’étincelle ne vienne pas? Ou croyez-vous à une convergence des luttes ? C’est à cela que l’on travaille. Hier [jeudi, Ndlr], les Ehpad et les retraités. Le mars, la fonction publique, les cheminots, le privé…
Confrontés à la lutte contre l’immigration clandestine à la frontière italienne, les cheminots semblent assez mal à l’aise ? Ils refusent de jouer les délateurs. C’est assez traumatisant à vivre. Eux, ils ont des passagers ; point.