Yann-Antony Noghès: «Ce documentaire est un coup de sonde à Bruxelles»
Quelle est la genèse de ce projet ? Au tout départ, la démarche a été personnelle. On me demandait souvent à Monaco mon avis sur ces négociations avec l’Europe, alors que je me posais moi-même de nombreuses questions ! À mes yeux, l’Europe est une évidence pour des pays comme la France ou l’Italie, la solution dans la mondialisation pour les anciennes puissances qui veulent continuer à peser sur la marche du monde. Mais Monaco vit de sa différence et si on se fond dans le moule européen, on n’est plus différent… J’ai donc ressenti le besoin de creuser la question avec mes contacts à Bruxelles et je me suis dit que ce serait peutêtre utile de partager ces témoignages de première main avec mes compatriotes à travers un documentaire. Le projet a immédiatement intéressé Monaco Info. Nous avons donc filmé ces échanges, une douzaine au total, pour permettre à tous ceux que le dossier européen intéresse de pouvoir se forger leur propre opinion.
Une façon de donner le contrechamp d’une Europe qui peut faire peur ? C’est normal que l’Europe fasse peur ici. Notre modèle est prospère et tout se passe bien pour le moment. Personne n’a envie que des hommes en noir armés de leurs pages de législation communautaire viennent tout chambouler pour que quelques étudiants monégasques puissent partir en Erasmus ou que l’une ou l’autre société puisse écouler ses produits plus facilement. Ça, c’est pour le fantasme. Mais quelle est la réalité ? Que pensent vraiment les responsables européens du dossier monégasque ? On n’en sait rien, or c’est quand même utile dans une négociation de savoir ce que l’autre partie a en tête. Avant de dire « l’Europe, on n’en veut pas!», n’a-t-on pas intérêt à regarder la question de plus près pour voir si un bon accord n’est pas possible ? Le souverain lui-même nous a exhortés à nous montrer plus ouverts. Alors, ce documentaire, c’est un coup de sonde à Bruxelles.
Qu’avez-vous appris de vos échanges avec les Eurocrates de Bruxelles ? La question monégasque n’est pas franchement au top de l’agenda à Bruxelles, mais c’est une bonne nouvelle pour nous… Moins cette négociation sera politisée en Europe, plus elle sera gérée de manière rationnelle et plus nous serons en mesure de négocier un bon accord tenant compte de nos spécificités. À part pour la poignée de fonctionnaires européens qui négocie cet accord d’association, Monaco n’existe pas vraiment au niveau communautaire. Cela peut être un atout mais cela peut aussi être une faiblesse. À travers la France, nous faisons partie de la zone euro, de la zone TVA, de l’union douanière et, dans une certaine mesure, de la zone Schengen. Paradoxalement, nous sommes déjà plus intégrés que certains pays membres à part entière de l’Union, sauf que nous n’avons pas voix au chapitre à Bruxelles sur toutes ces règles qui s’appliquent à nous indirectement. Dès lors, voulonsnous une Europe subie ou une Europe choisie? C’est tout l’enjeu de cet accord d’association qui nous offrirait un accès au grand marché et un strapontin à Bruxelles.
La question de la priorité nationale semble primordiale dans cette négociation ? Je ne vous cache pas que, de prime abord, les mots « priorité nationale » ne résonnent pas nécessairement très bien aux oreilles des Eurocrates pour lesquels la non-discrimination est un principe sacro-saint. Mais une fois qu’on leur explique les particularités monégasques, ils semblent prêts à en tenir compte. C’est évidemment la première fois que Bruxelles négocie avec un pays où les nationaux sont minoritaires dans leur propre pays. Tout est donc une question de pédagogie. À Monaco, la priorité nationale est une question de survie pour les Monégasques et Bruxelles est tout à fait capable de l’entendre. C’est du moins ce qui ressort des différentes rencontres que j’ai pu réaliser dans le cadre de ce documentaire.